Thursday 19 June 2014

L'existence d'un océan dans les entrailles de la Terre se confirme...

La découverte de ce diamant comprenant une inclusion de ringwoodite, annoncée en mars dernier, avait relancé l'hypothèse d'un gigantesque océan dissimulé sous nos pieds.


La théorie n'est pas nouvelle mais, depuis quelques mois, les indices s'accumulent. Le manteau terrestre pourrait bien abriter un gigantesque réservoir d'eau, jusqu'à trois fois plus vaste que l'ensemble des océans de notre belle planète bleue. Tout a commencé en mars dernier avec l'annonce de la découverte d'un diamant marron sans grande valeur marchande mais suffisamment spécial pour mériter une publication dans la revue Nature. En effet, après avoir étudié sous toutes les coutures ce caillou des profondeurs ramené à la surface par un volcan brésilien, une équipe scientifique dirigée par Graham Pearson, de l'université d'Alberta au Canada, y a décelé la toute première inclusion naturelle de ringwoodite d'origine terrestre. Un minéral que l'on avait jusqu'ici retrouvé dans des météorites et produit en laboratoire, mais dont on ne faisait que soupçonner très vivement la présence dans les profondeurs de la Terre.
Pourquoi cette intuition ? Parce que la ringwoodite n'est rien d'autre que de l'olivine - le principal minéral du manteau terrestre - soumise à des conditions de température et de pression élevées telles que celles qui s'exercent entre environ 520 et 660 kilomètres de profondeur en direction du centre de la Terre, dans une sorte de zone de transition entre le manteau supérieur et le manteau inférieur de la planète. Or, la particularité remarquable de cette ringwoodite est qu'elle tend naturellement à piéger l'eau en son sein, non à l'état de liquide, de gaz ou de glace, mais sous la forme d'ions hydroxydes. D'ailleurs, après analyse de leur précieux échantillon, les chercheurs ont confirmé que celui-ci contenait bien environ 1,5 % d'eau. Autrement dit, même si ce pourcentage ne peut en aucun cas être généralisé, cela démontrait premièrement qu'il y avait bien quelque part de la ringwoodite dans le manteau terrestre et, deuxièmement, que celle-ci pouvait contenir une quantité d'eau significative. L'hypothèse d'un réservoir d'eau gigantesque dans le manteau terrestre en sortait donc considérablement renforcée...

Ondes sismiques et roches humides

Forte de ce résultat, une autre équipe de chercheurs américains, conduite par Steven Jacobsen de l'université Northwestern de l'Illinois et Brandon Schmandt de l'université du Nouveau-Mexique, a tenté à son tour d'éclairer la question en étudiant le comportement des ondes sismiques qui font sonner la Terre comme une cloche, pendant plusieurs jours, après un tremblement de terre. Car lorsque ces ondes rencontrent des roches humides, elles ralentissent, et c'est là quelque chose que les scientifiques savent mesurer. Mais quel rapport avec l'eau piégée dans la ringwoodite puisque celle-ci n'est pas sous la forme liquide ? C'est que, grâce à des expérimentations menées en laboratoire, Steven Jacobsen est préalablement parvenu à montrer que, dans des conditions de pression et de température comparables à celles qui s'exercent à la limite entre la zone de transition et le manteau inférieur de la Terre, la fameuse roche est contrainte de restituer l'ensemble de son eau.
C'est donc là, à environ 700 kilomètres de profondeur, que se situerait ce qui pourrait être la plus grande réserve d'eau de la planète. Et, après une analyse minutieuse des données recueillies par EarthScope USArray - un réseau de 2 000 sismographes répartis sur le sol des États-Unis - lors de 500 tremblements de terre, les chercheurs en sont convaincus. Les enregistrements semblent bien corroborer cette idée (article paru dans la revue Science). Grâce à ces recherches, les scientifiques espèrent maintenant parvenir à mieux comprendre le cycle de l'eau sur notre planète mais aussi comment se sont formés nos océans. Toute l'eau de la Terre, si nécessaire à la vie, pourrait bien ne pas provenir uniquement des comètes...
(Sources : Chloé Durand-Parenti)





Sunday 15 June 2014

Tch'i tch'iao




 
Le Tangram est un jeu de puzzle, cependant il diffère beaucoup de ses équivalents occidentaux. Dans le jeu de Tangram, le nombre de pièces est invariable, il y en a sept, et leurs formes ne varient pas d'un puzzle à l'autre. De fait les sept pièces sont obtenues du découpage d'un carré en sept formes appelées formes de base. Voir figure plus haut.
A l'aide de ces sept formes de base, il est évidemment possible de reconstituer le carré initial, or ce carré est en soi un puzzle assez difficile pourvu que l'on soit ignorant de son découpage pourtant simple. La difficulté du jeu de Tangram repose toute entière dans cette apparente contradiction qui veut qu'un arrangement simple des sept formes de base — et qui peut figurer une forme géométrique ou toute autre silhouette simplifiée représentant animaux, outils, personnages... — soit difficile à reconstruire en ne se fiant qu'à la seule silhouette de l'énigme — un peu comme il est malaisé de déterminer la provenance d'une pièce de puzzle, prise isolément, d'après la reproduction de l'image complète sur la boîte contenant les morceaux de puzzle, tout particulièrement si cette image est Carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malévitch ou une toile typique de Barnett Newman.
Au début de chaque chapitre de ce livre se trouvent une ou plusieurs énigmes de Tangram faites de silhouettes qu'il est possible de retrouver grâce aux sept formes de base (*) — il vous suffit d'ailleurs pour pouvoir le faire de cliquer sur chacune de ces figures. (Les règles de déplacement des pièces du jeu électronique sont expliquées au bas de cette page). Les figures qui figurent donc en haut de chaque chapitre sont issues soit de livres d'énigmes chinois, soit de livres italiens et français datant des premières occidentalisations du jeu.
Le jeu de Tangram électronique qui vous est proposé ici est une applet java conçue et réalisée par mon ami Julien Kirch


(*) N'allez cependant pas essayer de reconstituer la figure qui est en tête du chapitre concernant les règles du jeu de go. (Retour au texte)
Les règles du jeu de Tangram électronique : pour reconstituer une figure, il faut déplacer les sept formes de base en maintenant le clic sur la figure. Pour les faire pivoter sur elles-mêmes, il faut cliquer à gauche sur les formes de base. Pour retourner le parallélogramme, il faut double-cliquer dessus. Les sept formes de bases sont légèrement aimantées les unes aux autres, aussi, si en déplaçant une forme de base vous ne la déposez pas exactement où elle devrait être, le programme rectifie avec précision l'affichage de cette pièce, ce qui évite, notamment, les chevauchements disgracieux. Vous avez la possibilité également d'afficher la solution si d'aventure une figure vous donne trop de fil à retordre. De même que pour passer à une autre figure, cliquez sur le bouton intitulé "nouvelle figure" et choississez dans le menu déroulant une autre figure

Go Pour jouer au go, il faut:


Go
Pour jouer au go, il faut:
Un Go-ban. Celui ci peut être obetnu en photocopiant le quadrillage ci dessous et en l'agrandissant 5,86 fois — ce qui revient à l'agrandir une première fois à 200% et puis une deuxième fois à 200% et enfin une troisième fois à 146%.
Des pierres noires au nombre de 181. Pour celles-ci photocopier la tâche ronde et noire en tête de ce chapître, en 181 exemplaires, grandeur nature, ce qui peut être obtenu de la façon suivante. Photocopier la tâche une fois. Photocopier la tâche et sa photocopie. Photocopier la tâche et sa photocopie et photocopier la photocopie de la tâche et de sa photocopie. Photocopier la tâche et sa photocopie, la photocopie de la tâche et de sa photocopie et la photocopie de la photocopie de la tâche et de sa photocopie. Photocopier la tâche et sa photocopie, la photocopie de la tâche et de sa photocopie, la photocopie de la photocopie de la tâche et de sa photocopie et la photocopie de la photocopie de la photocopie de la tâche et de sa photocopie. Photocopier la tâche et sa photocopie, la photocopie de la tâche et de sa photocopie, la photocopie de la photocopie de la tâche et de sa photocopie, la photocopie de la photocopie de la photocopie de la tâche et de sa photocopie et la photocopie de la photocopie de la photocopie de la photocopie de la tâche et de sa photocopie. Photocopier la tâche et sa photocopie, la photocopie de la tâche et de sa photocopie, la photocopie de la photocopie de la tâche et de sa photocopie, la photocopie de la photocopie de la photocopie de la tâche et de sa photocopie, la photocopie de la photocopie de la photocopie de la photocopie de la tâche et de sa photocopie et la photocopie de la photocopie de la photocopie de la photocopie de la photocopie de la tâche et de sa photocopie et découper les points noirs. Réserver les 73 points noirs en surplus.
Des pierres blanches, au nombre de 180. Photocopier 107 exemplaires supplémentaires de la tâche noire en tête de ce chapitre, les ajouter aux 73 exemplaires en surplus et les découper. Si les photocopies ont été réalisées sur des feuilles blanches(*), cela donnera 361 cercles de couleur noire d'un côté et de couleur blanche de l'autre côté.
Les règles du go sont assez simples. Il existe neuf règles fondamentales régies par cinq principes de base.
Les neuf régles fondamentales sont: 1. Le go est un jeu entre deux joueurs. 2. Un des deux joueurs prend les pierres noires et l'autre les pierres blanches. Les deux joueurs posent une pierre alternativement. La première pierre posée doit être noire, sauf dans la cas du jeu à handicap où les pierres de handicap ayant été posées, le joueur handicapé joue avec les pierres blanches et joue le premier. 3. Les pierres doivent être posées à des intersections, les intersections aux bords et aux coins du go-ban comptent pour des intersections à part entière. 4. Une pierre une fois posée ne peut plus se déplacer, elle doit cependant être retirée du jeu si elle est tuée par l'adversaire, c'est à dire qu'elle a été privée de ses libertés, c'est à dire de ses intersections voisines libres. 5. Le joueur qui a obtenu le plus grand territoire a gagné. 6. Une pierre ne peut être placée sur une intersection sans liberté. 7. Certains coups sont interdits s'ils devaient entraîner une suite infinie de coups à répétitions, ce sont les situations de Ko, ce qui veut dire éternité. 8. L'issue de la partie doit faire l'objet de l'assentiment des deux joueurs. 9. Deux joueurs de valeurs inégales peuvent s'affronter au go grâce à un système de handicap concédé par le joueur le plus fort au joueur le plus faible sous la forme de pierres d'avance.
Ces neuf règles fondamentales sous-tendent cinq principes de base: le principe d'alternance, chaque joueur pose à son tour une pierre sur le go-ban — à noter qu'un joueur peut choisir de passer son tour, ce qui est très rare et n'intervient qu'en fin de partie — le principe d'unicité, les pierres ne peuvent être superposées, elles ont par ailleurs toutes la même valeur, on ne peut jouer une pierre que sur une intersection vacante, le principe des libertés vitales: une pierre placée sur une intersection voisine généralement quatre autres intersections vides qu'il suffira à l'adversaire de combler de ses pierres pour tuer la pierre initiale, c'est à dire la retirer du jeu, le principe de conservation: on ne peut se tuer soi-même, le principe de non répétition: un coup amorçant une suite infinie de répétitions de coups est interdit.
Pour toute personne n'ayant jamais joué au go et brûlant cependant de le faire, à l'aide du petit matériel récemment confectionné, ces règles fondamentales, et leur principes porteurs, risquent fort de n'être pas suffisants et de déboucher sur de l'incompréhension frustrante. En cela le jeu de go ressemble fort au jeu d'échecs dont les règles sont très simples, mais pour qui voudrait apprendre à jouer aux échecs, il serait impossible de faire l'économie d'une somme telle que Les principes fondamentaux du jeu d'échecs de Raoul Capablanca, de même pour apprendre à jouer au go il n'est pas pensable de s'épargner la lecture du Petit traité invitant à la découverte de l'art subtil du go de Pierre Lisson, Georges Perec et Jacques Roubaud. Il serait illusoire pour l'auteur de ces lignes de faire le résumé, la synthèse ou la paraphrase de cette somme, somme toute incontournable.
"Il n'existe qu'une seule activité à laquelle se puisse raisonnablement comparer le go.
On aura compris que c'est l'écriture."
In Petit traité invitant à la découverte de l'art subtil du go de Pierre Lisson, Georges Perec et Jacques Roubaud.

(*) Pour cela il est impératif d'avoir réalisé les photocopies sur du papier blanc. N'utiliser en aucun cas du papier noir pour faire des photocopies de tâches noires, vous seriez terriblement déçu du résultat. (Retour au texte)

Volte face en guise de post face

Lors d'un de ses séjours parisiens pour ses affaires — et ses affaires c'est ses affaires — James était venu en France avec sa femme, Ha Jin, et nous avions convenu de nous retrouver, James, sa femme Ha Jin, ma femme, non pas ma future ex-femme, ton ancienne femme, comme dit ma femme, non ma femme, celle qui devint ma femme après que ma future ex-femme ne soit plus ma femme, mais devienne mon ex-femme, ton ancienne femme comme elle dit — je pourrais dire ma nouvelle femme, ce serait sans doute plus simple, mais je rebute un peu à le faire, parce qu'à mon sens, la notion de nouveauté est un peu galvaudée et il ne me semble pas que l'on puisse, comme cela, changer de femme comme d'aucuns peuvent changer, peut être pas de chemise, mais disons de voiture — James, la femme de James, ma femme et moi avions donc convenu de dîner au restaurant. Nous allâmes dans un grand restaurant de fruits de mer dont le faste assez traditionnellement français et le décor typique de grande brasserie enchantèrent nos convives chinois. Nous étions assis à une grande table ronde qui accueillit donc commodément un immense plateau de fruits de mer circulaire, lequel aurait été particulièrement malcommode sur quelle qu'autre table que ce fût, tant il était imposant, abondant et inexorablement circulaire. De même aucune autre table quelle que fût sa taille ou sa disposition n'aurait été plus pratique pour accommoder notre conversation, par ailleurs très ralentie par les traductions qui s'y opéraient de toutes parts. Ainsi ma femme, pas mon ancienne femme, non ma femme, lorsqu'elle désirait questionner Ha Jin, la femme de James sur quel que sujet que ce fût — son âge, ses croyances religieuses, la composition de sa famille, son astuce personnelle pour venir à bout d'une wok sur les parois de laquelle aurait attaché une sauce aux noix de cajou particulièrement retorse, ou encore sa préférence entre Paul Newman et Robert Redford (1) — elle, ma femme, donc, était obligée de s'adresser à moi, en français, nous sommes français, c'est donc en français que nous nous exprimons et d'ailleurs à la réflexion, le français est la seule langue que ma femme possedasse, s'adressant à moi, donc, sur sa droite, en français, donc, je devais ensuite me tourner vers James, sur ma droite donc, en anglais, donc, puisque James et moi avions en commun cette langue que nous possédions tous les deux suffisamment bien pour se parler sans malentendus, James se tournait vers sa femme, Ha Jin, à sa droite donc, c'est à dire en face de moi tandis que Ha Jin, la femme de James se trouvait de fait, et donc logiquement, à gauche de ma femme à moi, non, pas ma future ex-femme, non, ma femme, et James s'adressant à Ha Jin, sa femme, donc, parlait alors en chinois, James était chinois, sa femme était chinoise, ils s'exprimaient donc en chinois et à la réflexion, le chinois était la seule langue que Ha Jin, la femme de James, mon ami chinois, possedât, Ha Jin, la femme chinoise de mon ami chinois, James, Ha Jin, souriait très poliment et se tournant vers sa gauche, c'est à dire vers James, répondait dans ce qui semblait être monosyllabique, en chinois donc, un chinois très concis, suffisamment concis pour confiner au monosyllabique, donc, et James se tournait alors sur sa gauche, c'est à dire vers moi, disait alors en anglais, un anglais qu'il étoffait beaucoup, me semblait-il, par rapport au chinois net, concis et monosyllabique de sa femme chinoise, mais je ne parle pas le chinois, aussi ne suis-je peut être pas le meilleur juge de la qualité de la traduction, que James faisait de ce que Ha Jin, son épouse chinoise, lui répondait, pas davantage somme toute que je pouvais l'être — je m'en aperçois en l'écrivant — de la qualité de la traduction, que James avait faite, de la traduction, que j'avais moi-même faite de ce que ma femme m'avait demandé de traduire à l'intention ultime de Ha Jin, la femme chinoise de mon ami chinois, James, James, donc, ayant traduit ce que Ha Jin son épouse chinoise lui avait répondu, se tournait vers sa gauche, c'est à dire vers moi, pour me traduire en anglais ce qui venait d'être dit en chinois, je me tournais alors vers ma gauche, c'est à dire vers ma femme — qui se trouvait de fait, et donc logiquement, à droite de Ha Jin, la femme chinoise de mon ami chinois, James — diligemment, avec pour souci de ne pas faire trop durer les échanges intermédiaires mais néanmoins indispensables à une discussion entre Ha Jin, la femme chinoise de mon ami chinois et ma femme, et je lui traduisais, donc, en français, donc, ce que James venait de traduire du chinois vers l'anglais, c'est à dire de son interlocutrice de droite, sa femme chinoise, à son vis à vis, c'est à dire la mienne, en passant par son voisin de gauche, c'est à dire moi-même. A la réflexion d'ailleurs, nous nous étions assis à notre table ronde, sans tenir aucun compte de la bienséance coutumière qui aurait voulu que ma femme s'asseyasse en face de Ha Jin, la femme chinoise de mon ami chinois, James, tandis que James et moi nous nous serions faits face. Qu'on y pense alors, la communication toute entravée qu'elle aurait été par l'abondant plateau de fruits de mer n'aurait pas manqué d'empâtir, ainsi ma femme m'aurait demandé quelque chose à l'intention de Ha Jin, l'épouse chinoise de mon ami chinois, James, que j'aurais traduit à James par delà l'abondant plateau de fruits de mer, qui se serait alors penché vers son épouse, puis James se serait à nouveau adressé à moi pour me fournir quelque explication par delà l'abondant plateau de fruits de mer, tandis que nos deux femmes auraient échangé leurs sourires courtois, également par delà l'abondant plateau de fruits de mer. Non, à la réflexion, notre placement à table pour aussi peu orthodoxe qu'il fût, au regard des règles coutumières de la bienséance, avait pour lui d'être le plus commode. Et pourtant il ne fut jamais facile de discuter autour de cette table ronde et on se l'imagine fort bien, du fait de ces aller-retours de traductions sino-anglo-françaises, dans un sens, ou franco-anglo-chinoises, dans l'autre sens. De fait notre dialogue empruntait des formes quasi-théatrales:.
MA FEMME ( se tournant vers moi ):
— Est ce qu'elle aime les huîtres?
MOI ( me tournant vers James ):
James does Ha Jin like oysters?
JAMES ( se tournant vers sa femme ):
LA FEMME DE JAMES ( se tournant vers James ):

JAMES ( se tournant vers moi ):
yes.
MOI ( me tournant vers ma femme ):
— oui.
MA FEMME :
— Ah très bien.
MOI ( me tournant vers James ):
good.
JAMES ( se tournant vers sa femme ):
( Ha Jin sourit. )
JAMES ( se tournant vers moi ):
my wife is very happy to be here tonight.
MOI ( me tournant vers ma femme ):
— Elle est très heureuse d'être ici ce soir.
MA FEMME:
Ah très bien.
( Elles échangent un sourire. Ils les regardent, satisfaits. )
Nous évitâmes cependant, autant que faire se pût, tant de sujets — que nous aurions sûrement aimé aborder de part et d'autres dans cette discussion triangulaire aux quatre coins d'une table ronde, ce qui n'est pas plus difficle à faire, je le sais pour l'avoir déjà fait dans le cadre du travail, qu'une table ronde à trois autour d'une table carrée — tels que, les ramifications vertigineuses de l'intrigue de l'Idiot de Dostoïevski, toujours en matière de littérature, comment avant Proust, il n'y avait que deux options, Balzac ou Benjamin Constant, soit on — et quand j'écris on je me comprends — refaisait du Balzac ou du Benjamin Constant, on — et quand j'écris on, je me comprends — racontait une histoire à la Balzac ou on — et quand j'écris on, je me comprends — étudiait une âme à a manière de Benjamin Constant, Proust a, lui, montré que l'on — et quand j'écris on, je me comprends — pouvait faire autre chose que du Balzac et autre chose que du roman psychologique traditionnel, on — et quand j'écris on, je me comprends — peut redécouvrir un monde, le pour et le contre, pour les Noirs comme pour les Blancs, de la variante Najdorf dans la partie sicilienne, le da-sein et le da-mit d'Heidegger, ou encore l'adaptation de la pensée confucéenne par le communisme chinois, la musique dodécaphonique et la musique contemporaine, la peinture abstraite, que sais-je encore? Profitant d'une accalmie dans cette discussion circulaire, je me penchai vers James et lui expliquai qu'il était devenu un personnage de roman. James était ravi — un peu comme certaines personnes sont ravies de figurer sur une photographie, même en arrière plan — il me confessa cependant que le sentiment était étrange d'être de fait un personnage imaginaire. James était à ce point perspicace qu'il avait saisi, sans aucune allusion de ma part, qu'il n'était pas décrit dans mon roman tel qu'il était dans la réalité — si une telle chose était possible — mais bien comme un personnage irréel qui avait emprunté ses traits et beaucoup de son ironie à James, mais ce dernier n'excluait pas que d'autres des traits de caractère de son personnage aient pu être empruntés à d'autres personnes existant vraiment, c'était dire toute l'étrangeté de se savoir, ainsi, partie prenante dans la somme d'un personnage fictif. Je confiai à James que c'était également un bien étrange sentiment que de dîner en compagnie d'un de ses personnages.


(1) j'écris mal les dialogues de femmes, et pour cause je ne suis jamais là quand elles ont une conversation de femmes. (Retour au texte)
(2) Que mon lecteur m'excuse mais je ne dispose pas de l'italique pour ce qui est du chinois si toutefois une telle chose existe. (Retour au texte)

Rencontre avec un grand écrivain

En juin 1999, j'ai interviewé un grand écrivain, et lorsque j'écris grand écrivain, je pèse mes mots: pour donner une preuve un peu indiscutable de l'importance de cet auteur, je précise que le grand écrivain en question est traduit dans de nombreuses langues. Les circonstances qui m'ont amené à cette rencontre avec le grand écrivain sont inintéressantes à éclaircir. De même il serait sans doute incongru de nommer le grand écrivain en question, tant cela pourrait être perçu, comme une volonté de ma part, de faire rejaillir de la lumière de l'aura du grand écrivain en question sur moi-même, et je risquerais par cette vaniteuse manoeuvre de lui faire de l'ombre. La courtoisie, l'indulgence et la clémence du grand écrivain pour la maladresse et l'abrupteté de mes questions me le rendirent d'autant plus respectable, je n'entends donc pas faire usage de son nom et de sa célébrité dans le monde des lettres. Notre interview fut cependant publiée et à l'occasion de cette publication dans une revue littéraire, je ne manquais pas de faire parvenir quelques exemplaires de la revue au grand écrivain. Ce dernier souhaita cependant en disposer de deux exemplaires supplémentaires. Il m'appela donc au téléphone et me demanda s'il ne m'était pas possible de les lui expédier par la poste, et comme pour justifier courtoisement cette demande, qui ne méritait pourtant pas de l'être, le grand écrivain me précisa qu'il destinait ces revues à deux de ses traducteurs, notamment son traducteur chinois. Je m'étonnais que le grand écrivain, tout grand écrivain fût-il, fût traduit en chinois tant la chose est peu fréquente. Il me confirma modestement cette rareté, et me dit que c'était pour lui un plaisir inhabituel de compter, parmi les rayons de sa bibliothèque, ses propres livres traduits en chinois, d'ailleurs les seuls livres en chinois qu'il possédât, résolument du chinois pour lui , et ce bien que ces livres furent écrits par lui.




Et quand je relis ces lignes, je me dis que c'était bien là toute ma vie et que pour mes enfants, Madeleine et Nathan, et leurs frère et soeur, Jules et Clémence, tout ceci doit être du chinois .

Je consultais les nombreuses notes que j'avais prises, au début dans l'intention de clarifier la confusion dans mon esprit qu'avaient fait naître les différentes interprétations du pictogramme de Liu Sian, et, au fur et à mesure, à propos de toute chose chinoise qui m'avait également rendu perplexe , comme en quelque sorte, la somme même de tout ce que mon existence avait pu compter de confus et de chinois, et ce sont, en somme, ces notes — dont j'ai repris pour beaucoup la rédaction — que vous venez de parcourir. 
 C'était donc affairé à cet effort de remise en forme et de mise au propre de ces notes, que je reçus une lettre dûment postée de Shanghaï. Je gardais longtemps l'enveloppe de cette lettre punaisée sur un tableau de liège prévu à cet effet, l'affichage temporaire de toute chose qui plaisait à mes yeux, tant je trouvais remarquable de voir mon adresse si familière, Lucien De Jonckheere, 60850 Puiseux-en-Bray, France, se détacher sur une enveloppe criblée d'indications et d'oblitérations chinoises. Cela faisait du récipiendaire de cette enveloppe un voyageur au long cours par procuration, ce qui avait tôt fait d'attiser mon imagination.
 

Lettre de James

Cher Lucien
Avec l'aide de mon beau-père, j'ai trouvé le poème original dans la collection complète des poèmes de la dynastie Tang. Je vais essayer de te traduire la signification immédiate de ce poème:

Je déambulais, tandis que les pétales d'osmonde
[tombaient
La nuit était calme dans la montagne vide
La Lune se leva et surprit les oiseaux
Leur chant résonna dans le cours d'eau.
 Printemps.
Ce poème a été écrit par un des plus fameux poètes de la dynastie Tang, Wang Wei. 

C'est aussi un des plus célèbres de l'esprit Zhang. 
Le haut niveau Zhang impose d'écrire dans la forme indirecte pour indiquer son appartenance à la forme Zhang. Pour cette raison ces poèmes décrivent le plus souvent des paysages et des natures mortes pour refléter l'esprit Zhang. 
Ce poème au travers de sa description du décor et de l'ambiance, particulièrement les actions de la Lune et des oiseaux, reflète un état ultime de sérénité et de vide. 
Le poème parle en fait des jardins de Huan Fu qui était le fils d'un ministre de la dynastie Tang. Comme tu peux le voir, il n'y a absolument pas d'arbre immense ni d'homme allongé mais ton interprétation est aussi très belle et très Zhang.


                                                                





              

Quand Liu Sian, mon ami chinois, venait à Paris, il prenait ses quartiers chez moi, dans toute l'exiguïté de mon appartement parisien. Quelques amis parisiens de Liu Sian en profitaient pour lui rendre visite. Ces amis étaient chinois. Quelques uns de mes amis venaient aussi pour rencontrer Liu Sian. Ces amis là n'étaient pas chinois. Le fait est que cela donnait souvent lieu à des confusions. Parce que quand les gens s'adressaient à moi, Liu Sian croyait toujours qu'ils s'adressaient à lui, Liu Sian. Pour une raison somme toute très simple: je m'appelle Lucien. Ce qui évidemment se prononce un peu comme Liu Sian. Et pourtant, lui c'est Liu Sian, pas Lucien, lui c'est lui et moi c'est moi, et moi, c'est Lucien, pas Liu Sian, moi c'est moi, et lui c'est lui. Liu Sian, c'était son nom, le sien, le mien c'était Lucien.
Quand Liu Sian, mon ami chinois, venait à Paris, j'allai l'accueillir à l'aéroport, et quand enfin il arrivait, nous ouvrions nos bras l'un à l'autre: " Liu Sian.
— Lucien."

ARTICLE SUIVANT de Untitled Document






           

Mon frère Alain me rendit visite à Chicago pendant deux semaines. Il n'était jamais venu aux Etats Unis d'Amérique et se réjouissait de tout ce qu'il voyait un peu comme l'enfant s'ébahit de nouveautés. De même il était partant pour tout. Un après-midi, je lui proposais de conduire vers le Sud de la ville, porter des châssis que j'avais confectionnés de bric et de broc et dont James était toujours preneur, bien qu'ils fussent rarement rectangulaires, jamais de la même taille et plus souvent qu'à leur tour un peu voilés. Poliment James m'avait d'abord offert de me dédommager, mais la première fois que je le livrais, sur le ton de la plaisanterie, j'avais dit que je préférais de loin un repas chinois. C'était devenu notre mode de paiement officiel. Mon frère Alain était tout à fait enthousiaste pour rencontrer James dont je lui avais parlé: un peintre figuratif, par ailleurs peintre en bâtiment pour faire bouillir la marmite, droitier, célibataire, et de nationalité chinoise. Mon frère Alain était peintre aussi — et pour le distinguer des autres peintres décrits dans ce récit, je précise qu'il était peintre figuratif, droitier, célibataire et donc pas marié à une Américaine, de nationalité française, et donc pas chinois. En chargeant les châssis à l'arrière de notre break Volvo, mon frère Alain me fit remarquer que les châssis n'étaient pas très réguliers et je sentis bien à cette remarque qu'il avait honte d'être invité pour une grande soupe Won Ton — la spécialité de James — à si vil prix. Arrivés chez James, il demanda sans ambages dans un anglais pourtant hésitant une lime, du papier de verre et un rabot. Il s'installa sur le porche et dégauchit grossièrement les six châssis grand format que j'avais prédestinés à James. Profitant d'être un peu à l'écart de mon frère Alain, toujours affairé sur le porche, je prévins James que mon frère Alain offrait des particularités de caractère et de psychisme un peu originales et souvent déroutantes. James m'assura que cet avertissement était bien inutile. Une heure plus tard, mon frère Alain appela James et lui fit constater que les châssis étaient désormais un peu plus réguliers et à mon grand étonnement il précisa pour l'un d'entre eux, qu'il était voilé au delà de toute réparation, et donc irrécupérable à son avis, ce qui était surprenant c'était qu'il sût employer le verbe juste to wabblethis one still wabbles ( celui-ci est encore voilé ) — tandis que pour beaucoup d'autres choses son anglais était très hésitant. James, étranger comme nous deux d'ailleurs, se tourna vers moi, parce qu'il ne connaissait pas lui-même le verbe to wabble, ce que je dus lui traduire d'un geste de la main, la main à plat zigzagant de l'avant — autant j'eus été capable de traduire le verbe to wabble en français, autant j'étais bien évidemment incapable de faire autrement que d'un geste vague et imprécis pour traduire sa signification à un Chinois ne parlant pas français et insuffisamment bien l'anglais, c'était à l'évidence comme de décrire un escalier en colimaçon en décrivant du doigt une spirale, le plus souvent ascendante — rares sont en effet les personnes qui décrivent un escalier en colimaçon en décrivant une spirale descendante, à croire que tout un chacun est davantage marqué par la fonction ascendante d'un escalier en général, et d'un escalier en colimaçon en particulier — plutôt que de dire un escalier de forme hélicoïdale. Mon frère Alain fut très déçu que connaissant lui même le verbe juste pour ce qu'il avait à dire, nous eussions recours à ce langage primaire des mains et des gestes auquel lui-même demandait souvent secours, contraint en cela, par son manque de vocabulaire anglais. James était très enthousiaste de voir que ses châssis étaient tout de même un peu plus réguliers que de coutume et de ce fait accueillit mon frère Alain avec les mêmes égards qu'il aurait eu pour un prince, il lui proposa donc une bière. Et par la suite il s'assura toujours que tout sujet évoqué dans notre conversation était bien compris par mon frère Alain, et que son assiette regorgeât toujours des merveilleux raviolis Won-Ton. J'étais de fait très touché de cette mansuétude aux accents très asiatiques à l'égard de mon frère Alain, qui pour une fois était considéré comme une personne à part entière, sans qu'on ne tienne un compte rédhibitoire de son psychisme fragile et de son comportement habituellement déconcertant. D'ailleurs fait qui mérite d'être remarqué, toute la fin d'après-midi et la soirée se déroulèrent sans encombre — ce qui en pareille circonstance n'était jamais garanti — et à aucun moment mon frère Alain n'eut de remarque boiteuse, ou ne fit preuve d'une conduite alarmante, ce qui bien sûr me donne à penser que ce qui était le plus nocif au psychisme instable de mon frère Alain, c'était à l'évidence le regard des autres, un regard qui s'arrêtait à ses tics, ses manies, son regard lointain et ses pensées confuses qui pouvaient s'exprimer d'une façon tout à fait incompréhensible, ce qui rendait les choses d'autant plus tendues, peiné que mon frère Alain était que son interlocuteur ne comprenne pas ce qui lui tenait tant à coeur de dire. Mon frère Alain était d'excellente humeur, il avait voulu assister à la fabrication des dumplings — il restait à James une vingtaine de raviolis à fourrer du hachis qu'il assaisonnait au fur et à mesure — de même qu'à la cuisson à la vapeur et au reste de la préparation de la soupe, ce qui était tout de même étonnant lorsque l'on sait que mon frère Alain était tenu par le reste de la famille, pour incapable de se préparer des oeufs au plat. James se plia de bonne grâce à cette curiosité, attrait qui relevait tout de même de l'exotisme, mais décidément, James ne prit pas ombrage d'une telle sollicitude. Nous mangeâmes cette grande soupe au coeur de l'hiver avec un bel appétit et mon frère Alain se laissa resservir deux fois de raviolis Won-Ton, que James avait légèrement saisis dans un fond d'huile de sésame bouillante, les raviolis étaient eux-mêmes parsemés de graines de sésame. Fait tout à fait inhabituel, mon frère Alain ne se jeta pas sur sa tabatière en fin de repas et attendit poliment que James nous proposa des cigarettes, que mon frère Alain refusa courtoisement pour se servir de son propre tabac. Mon frère Alain exprima le souhait de voir les toiles de James qui fut assez obligeant pour lui montrer toutes celles qu'il avait dans son atelier exigu, quand bien même certaines fussent emballées. Ils échangèrent des astuces et des conseils de préparation des pigments, mon frère Alain étant partisan d'une huile qui sèche rapidement et dans laquelle il ajoutait de la liquine, dans des proportions tout à fait homéopathiques si je me souviens bien, tandis que James préférait les huiles aux temps de séchage lents, la soirée s'étirait dans une belle douceur, James initia mon frère Alain à la tenue du pinceau des calligraphes chinois — les doigts pleins et la paume creusée comme pour recevoir une prune dans la creux de la paume — et lui apprit le dessin d'un idéogramme simple, le mot ciel. Nous primes à regret congé de James — à une heure effectivement tardive — et je me souviens avoir conduit avec lenteur pour remonter Western Avenue vers le Nord, pour mieux savourer la quiétude qu'avait fait naître ces moments passés dans la compagnie de James. Je dus promettre à mon frère Alain que dorénavant je soignerai davantage la fabrication des châssis pour James, et il me conseilla d'ailleurs d'en faire autant pour mes propres toiles. Avant son départ de Chicago, mon frère Alain tint absolument à acheter une bouteille de cognac que nous finîmes par trouver à prix d'or dans un magasin spécialisé de Michigan Avenue et qu'il me chargea de remettre à James de sa part. James fut très ému de ce cadeau. Un après-midi où mon ami chinois, James et moi bûmes beaucoup de thé en discutant de l'immense difficulté à vivre de mon frère Alain, James me parla alors d'un jeu chinois, appelé Tch'i Tch'iao, ce qui voulait dire la plaquette aux sept astuces. Ce jeu est plus connu des Occidentaux sous le nom de Tangram. Le Tangram est un puzzle chinois dont la difficulté ne vient pas du caractère sinueux et complexe de ses formes ni de son très grand nombre de pièces, en effet le Tangram se compose de sept morceaux seulement, qui sont par ailleurs de contours très simples: cinq triangles-rectangles isocèles, un carré et un parallélogramme. De fait le Tangram est une plaquette carrée divisée en sept éléments, appelées plaquettes ou formes de base. Les formes de base sont obtenues du découpage d'un carré de la façon suivante. Diviser le carré en deux triangles-rectangles isocèles par la diagonale du carré. Prendre un de ces deux triangles-rectangles isocèles et le diviser de nouveau en deux triangles-rectangles isocèles, en tirant une droite par le milieu de l'hypoténuse du triangle-rectangle isocèle. Ces deux triangles-rectangles isocèles constituent désormais deux formes de base. Prendre maintenant le deuxième triangle-rectangle isocèle né de la division du carré en deux triangles-rectangles isocèles. Par le milieu des côtés adjacents à l'angle droit, faire passer une droite parallèle à l'hypoténuse du triangle-rectangle isocèle né de la division du carré en deux triangles-rectangles isocèles, cette droite coupe le triangle-rectangle isocèle en un triangle-rectangle isocèle d'une part et un trapèze d'autre part. Réserver le triangle-rectangle isocèle né du découpage du triangle-rectangle isocèle obtenu par la division du carré par deux triangles-rectangles isocèles. Considérer maintenant le trapèze, et le diviser en deux parties égales en surfaces et superposables en forme en faisant passer une droite perpendiculaire à la base du trapèze par le milieu de cette même base. On obtient alors deux polygones à quatre côtés et donc quatre angles, dont deux droits, un à quarante-cinq degrés et un à cent trente-cinq degrés. Prendre le premier polygone à quatre côtés et donc quatre angles, dont deux droits, un à quarante-cinq degrés et un à cent trente-cinq degrés, et au milieu de sa base, faire passer une droite perpendiculaire à la base qui séparera ainsi le polygone à quatre côtés et donc quatre angles, dont deux droits, un à quarante-cinq degrés et un à cent trente-cinq degrés en un carré d'une part et un triangle-rectangle isocèle d'autre part. Ces deux formes peuvent rejoindre l'ensemble des formes de base. Prendre le deuxième polygone à quatre côtés et donc quatre angles, dont deux droits, un à quarante-cinq degrés et un à cent trente-cinq degrés, et, par le milieu de sa base faire partir une droite qui atteindra le côté opposé à la base dans son angle droit, ce qui partagera le polygone à quatre côtés et donc quatre angles, dont deux droits, un à quarante-cinq degrés et un à cent trente-cinq degrés en un parallélogramme d'une part et un triangle-rectangle isocèle, d'autre part, comparable en tous points à celui obtenu par le partage du premier polygone à quatre côtés et donc quatre angles, dont deux droits, un à quarante-cinq degrés et un à cent trente-cinq degrés selon une autre méthode consistant à faire passer une droite perpendiculaire à la base du polygone à quatre côtés et donc quatre angles, dont deux droits, un à quarante-cinq degrés et un à cent trente-cinq degrés par le milieu de cette même base . Grâce à ce découpage du carré initial, on obtient cinq triangles-rectangles isocèles, dont deux grands, un de taille moyenne, et deux de plus petite taille, un carré et un parallélogramme. CQFD. Une figure serait sans doute très simple et très éloquente quant à ce découpage du carré initial. Il est un fait cependant: retrouver l'assemblage des sept pièces, les triangles-rectangles isocèles, le carré et le parallélogramme, pour reconstituer le carré tandis qu'on serait ignorant du découpage initial du carré peut se montrer aussi ardu ou presque que de devoir décrire par les mots ce découpage. Et c'est là sans doute toute la ressource du jeu de Tangram: avec les sept pièces de base, il devient possible de reconstituer des figures géométriques, telles un carré — comme nous venons de voir — un triangle, un parallélogramme ou un trapèze, ou toute autre combinaison de ces formes. Avec les sept formes de base il est également possible de reconstituer des images figuratives, silhouettes de représentations très simplifiées: des oiseaux, des chats, des cavaliers, des chiens, des lapins, des scorpions, des baleines, des silhouettes humaines chapeautées, des encriers et des tampons de toutes sortes et de toutes formes, de doctes silhouettes dont la tête serait figurée par un carré posé sur la pointe, des têtes, des vases et des récipients, des bobines de fil, des socles sur lesquels seraient posés des figures géométriques, un diable sortant de sa boîte, si c'est possible!, des arrosoirs, des bougies, des flèches, un homme assis devant un récipient, un autre tenant un livre ouvert à bout de bras, une figure s'agenouillant devant une autre, des figures dansantes dont la tête serait systématiquement représentée par un carré, des barques, des bateaux, des figures sans apparente ressemblance avec quel qu'objet que ce soit, des usines, des ponts, des portes, des armes à feu et des armes blanches, des outils dont une lame de scie, des lampes, toutes sortes de petits mammifères, des bustes d'hommes en gilet et des vautours le cou rentré dans les épaules. Des recueils de ces formes existent et leurs sources sont variables, ils sont soit hérités des premiers recueils issus de la tradition chinoise, soit ils nous viennent des premières occidentalisations du jeu et notamment des versions italiennes, françaises, anglaises et américaines, soit encore ils sont enrichis par de fervents joueurs contemporains — au nombre desquels on trouve fréquemment mathématiciens et logiciens, lesquels s'entendent à démontrer, dans de doctes préfaces, pas toujours compréhensibles par le vulgum pecus, que la reconstitution d'énigmes de Tangram peut à son tour devenir le support de résolution de problèmes de mathématiques et de logique, mais nous sommes tentés de voir là dans ces chinoiseries, pour ainsi parler, le voeu pieux de faire ressembler le jeu de Tangram au fictif Jeu des perles de verre, tel qu'il est décrit par Heman Hesse dans son roman éponyme. J'offris à mon frère Alain un jeu de Tch'i Tch'iao, lui indiquant que c'était sur la recommandation de mon ami chinois James. Deux ou trois mois plus tard, tandis que je m'enquis de savoir si mon frère Alain trouvait dans la pratique du jeu de la plaquette des sept astuces, les vertus quasi anxiolytiques d'apaisement et d'ataraxie que m'avait vantées James, et s'il y avait trouvé quel qu'intérêt que ce fût, il me répondit qu'il avait cessé d'y jouer parce qu'à son sens, le jeu que je lui avais offert possédait un inconvénient majeur, en effet, les sept pièces de ce jeu étaient de matière plastique noire très brillante, laquelle finissait par réfléchir, pendant la résolution de chaque énigme, une image très morcelée du joueur, reflet de lui-même qui le mettait très mal à l'aise, et qui de fait nuisait beaucoup à sa tranquillité et à son équilibre fragiles. Il me rendit le jeu. Des années plus tard, par un après-midi pluvieux — est-il nécessaire de préciser lequel tant je regarde rétrospectivement mes trois années de séjour dans le Sud de l'Angleterre, à Portsmouth, comme une suite ininterrompue de fins d'après-midi pluvieux? — j'étais en proie à une colère sourde qui étendait ses ramifications mauvaises dans tous les recoins de ma pensée: tout m'énervait, tout m'insupportait, me donnait sur les nerfs, chaque vétille semblait s'être mise en devoir de m'offrir de la résistance aussi futile fût-elle, et un grondement grave faisait trembler les bases sur lesquelles je bâtissais tout raisonnement. Rien, aucune pensée, aucune image, aucun objet n'était appareillé pour me procurer le plus infime des plaisirs, la satisfaction la plus ténue. J'envoyais promener les objets du revers de la main, les idées aussi que je balayais d'un geste énervé imaginaire, je dévisageais avec mépris les toiles, pour la plupart abstraites sur les murs de mon appartement, je considérais avec nausée les reliefs de mon déjeuner, j'arpentais la vaste pièce de mon appartement en butant sur les pages éparses du journal resté à terre, des titres lus à la volée me remplissaient d'une tristesse pleureuse, les Serbes intensifiaient leurs massacres en Bosnie-Herzégovine, les Croates reprenaient le dessus sur les Serbes et les massacraient d'autant et s'en prenaient aussi aux Musulmans bosniaques, la Bosnie Herzégovine en 1995. Les Concertos Brandebourgeois de Jean-Sébastien Bach me donnaient sur les nerfs et je coupais l'amplificateur au beau milieu d'une phrase de flûte qui me donnait fermement le sentiment d'avoir été écrite pour m'emmerder — quelle prétention, je reprochais à Jean Sébastien Bach d'avoir écrit pareille sucrerie douceureuse, ma mauvaise foi s'étendait jusqu'à penser qu'il l'avait écrite pour m'emmerder moi, et d'y être remarquablement parvenu avec une belle anticipation longue de deux cent soixante dix années. Enfin telle était la teneur, à peu près, de mes pensées sombres de cette fin d'après-midi. Tout passer par dessus bord, voilà ce que j'avais l'intention de faire. Les livres, commencer par les livres, ces broutilles nuisibles, écrites par des raisonneurs de tous poils, ces beaux penseurs poseurs et qui somme toute rendaient leur solitude — dont je n'avais que faire si j'y pensais bien — tout à fait contagieuse — et si eux n'avaient pas su vivre en bonne intelligence avec leurs prochains, nul ne me forçait à entretenir une relation pareillement boiteuse avec la descendance de ces mêmes prochains, sous le prétexte fallacieux que j'étais épris, comme d'un poison, du rythme hypnotique de leurs phrases bien tournées. Sortirent brutalement des rayons, les romans abstraits de Maurice Blanchot, quelques livres de Peter Handke, deux romans de Pierre Michon, des petits livres maigrelets qui vont à l'essentiel du primordial de Samuel Beckett, les farces géniales de René Daumal, les raisonnements spéculatifs d'Eric Chevillard, la douleur De Joé Bosquet et la Douleur de Marguerite Duras, tout Louis-René des Forêts et tout Thomas Bernhard, des nouvelles de Raymond Carver, le catalogue raisonné du photographe Robert Heineken entre 1966 et 1986, l'Amour fou d'André Breton, des romans de Christian Oster, Bartleby d'Herman Melville, du Claude-Louis Combet, un recueil d'Haïkus traduits de l'anglais par Philippe Jacottet, un important volume sur les masques africains, la Boutique obscure de Georges Perec et les Saisons de Maurice Pons, un roman pas terrible de Jean Briance, les Hommes du XXème siècle du photographe August Sanders, deux petits livres de Paul Celan, une monographie du peintre Jean-Charles Blais, des haïkus de Ryokan et d'Issa, quelques livres de Boris Vian, je courrais après les fesses d'une de ses ferventes lectrices, la Mémoire des mots d'Edmond Jabès, le catalogue de l'exposition de la peintre Joan Mitchell au Jeu de Paume, les Américains de Robert Frank, des articles de Bernard Noël, the Sicilian for the tournament player d'Eduard Gufeld, des histoires tordantes de Pierre de Bettencourt, un petit livre gris de Jacky Chriqui, une monographie de la photographe Diane Arbus, une monographie, également, du sculpteur Giacometti, le Jeu des perles de verre d'Herman Hesse, un essai sur Beckett de Pascale Casanova, le catalogue de l'exposition l'Informe au Centre Georges Pompidou, un récit de Louis Calaferte, l'Epreuve de Jean-Philippe Reverdot, deux monographies des sculpteurs Robert Morris et Tony Cragg, le Maître et Marguerite, un roman intense de Jean-Louis Maunoury, les sept volumes de la Recherche, des haïkus de Buson, que serait aujourd'hui la littérature si Proust s'était cantonné à écrire des haïkus?, Ubu-roi d'Alfred Jarry, du Jean Echenoz, Autour de Mortin de Robert Pinget, les Onze mille Verges d'Apollinaire, un livre de Marcel Moreau dont j'ai oublié le titre, un livre de photographies érotiques anciennes au charme désuet, un livre de Jean-Paul Sartre qui de fait prit définitivement le chemin de la poubelle, tout n'était donc pas tout à fait perdu, on finirait par y voir plus clair sans le bigleux, se débarasser des graisses inutiles, un livre de Jack Kerouac en anglais déjà passablement éventré et dont il fut difficile de recoller, après coup, la reliure à grand renfort de raccords disgracieux de ruban adhésif épais et toilé. Je butais finalement sur un livre ouvert. Aucune phrase ne vint se jeter à ma figure — comme en pareil cas, lorsqu'on s'attaque aux livres, dans des récits mièvres, où celui qui porte la flamme de l'autodafé est accroché par une phrase, tandis qu'elle brûle, phrase brûlante donc, et qui remet alors l'existence entière de l'incendiaire en question — ces exagérations dans les récits mièvres tout de même! — et le pêcheur devient alors bon samaritain ou n'importe quelle autre fadaise. Non, aucune phrase de ce livre tombé ouvert ne fit du mécréant que je suis un dévot. En revanche une silhouette, noire d'encre, celle d'un cygne aux contours schématiques et anguleux m'intrigua. Nul n'est contraint de croire qu'un aussi rocambolesque concours de circonstances ait eu lieu, après tout vous vous laissez tirer par la manche par les mièvreries déjà citées et vous laissez se transformer, sous vos yeux de lecteur crédule, comme filant entre vos doigts, des brutes incendiaires qui deviennent de fervents lecteurs, un étudiant sans le premier sou qui saccage une vieille veuve argentée et sa soeur servante pour payer son loyer, et qui devient un bagnard dévot, un vil mondain qui s'entiche d'une laideronne au prénom ridicule et qui devient l'écrivain du siècle et toute une collection de dei ex machina, alors si vous êtes assez dupes pour vous laisser berner par cette édifiante tribu de personnages, sans vraisemblance aucune, vous vous laisserez bien convaincre que cet après-midi-là, sous l'emprise de ma colère noire, je fis surgir un cygne noir tout droit sorti de je ne sais quelle profondeur chinoise antique, restitué par mon livre d'énigmes de Tangram. Ce qui est, somme toute, plus invraisemblable dans cette histoire, c'est qu'étant donné l'instabilité de mon humeur à ce moment, j'ai pu ressentir le besoin de chercher les sept formes de base du puzzle que je gardais dans un tiroir, pour déchiffrer cette énigme du cygne. Ce que je fis sans mal d'ailleurs. Et puis rageusement j'entamais la résolution du puzzle suivant, un autre cygne, en vol celui-là. Je pris un certain plaisir à ces résolutions qui contrastaient beaucoup dans leur docilité d'avec le cours des choses de cette fin d'après-midi pluvieuse, à Portsmouth, dans le Sud de l'Angleterre. Et, avant que je n'y pris garde, le jour avait décliné par les grandes fenêtres de mon appartement, lesquelles faisaient toujours de leur mieux pour faire entrer un peu de la lumière pluvieuse du dehors dans les pièces sombres à l'intérieur. Je dus m'arrêter de jouer au Tangram parce que je n'y voyais plus clair du tout, je me levai, j'allumai , la clarté électrique fit le jour sur une page entière de nouvelles énigmes, de nouveaux puzzles, j'étais rassuré à l'idée d'en avoir de nombreux encore pour les jours à venir. J'étais calme. D'un calme qui n'avait jamais connu la tempête et qui ne s'offusqua même pas de trouver de nombreux livres épars, certains avec des pages cornées, ce qui m'aurait habituellement été insupportable. Ma colère d'alors, pour ce qu'il m'en souvenait, m'apparaissait comme sans objet et nul doute que ce fut là l'éclaircissement le plus rationnel à son sujet. Il n'y avait rien de miraculeux à tout cela, je ne tiens pas à faire accroire à mon lecteur des histoires d'eau qui se transforme en vin, ce sont là des tours faciles dès lors qu'on les réalise devant un parterre d'ivrognes, qui après avoir vidé les caves de Cana, sûrement abondantes, devaient surtout être fin saouls, tellement beurrés qu'ils ne voyaient plus goutte entre le vin et l'eau. Je ne suis pas un mystificateur du dimanche. Non ce jour-là ma colère ne fit que s'éloigner, en cette fin d'après-midi pluvieuse. De fait cette colère, cette lame de fond ne me laissa jamais tout à fait en paix. Elle se manifesta, de nombreuses fois encore, surtout lors des innombrables fins d'après-midi pluvieux de l'Angleterre. Elle n'était fondée sur rien en particulier ou plus exactement, elle s'arrimait sur tout, j'étais en colère et j'en fis même une vertu. Je vantais les colériques notoires, mes maîtres, jamais la musique désordonnée de Charles Mingus ne trouva d'écho plus limpide à mes oreilles, jamais je ne jubilais autant à la lecture des paragraphes acrimonieux, d'un seul bloc de fonte en fusion, de Thomas Bernhard. Mais quand d'autres auraient hurlé de rage, je rentrai ce hurlement par-devers moi et je soignai mon indigestion atrabilaire avec la plaquette des sept astuces. Des heures entières je jouais à même la moquette grise et drue de la grande pièce de mon appartement, du quartier Nord de la ville de Portsmouth, avec les figures du Tangram et reconstituaient des pages entières d'énigmes. Celles qui me donnaient sans doute le plus de difficulté étaient précisément celles dont la forme englobante, la silhouette, était la plus simple, le plus souvent une forme géométrique dépouillée, telle un triangle, un long rectangle allongé, deux carrés comptant comme une seule figure, des flèches, avec ou sans arrêtes, un losange, une multitude de parallélogrammes, des collections de triangles, souvent rectangles et presque toujours isocèles, aucun triangle équilatéral, tous ces triangles à l'intérieur desquels il fallait s'ingénier à faire apparaître une forme géométrique par soustraction, des pages entières de ces variations de triangles, d'autres formes géométriques assez simples comme des rectangles plutôt allongés, auxquels auraient manqué un coin, ou deux coins, ou trois coins, des pages entières de carrés sur lesquels venaient se greffer un triangle ou tout autre appendice, des trapèzes, un hexagone un peu aplati qui m'avait donné bien du fil à retordre, des lames de guillotine plus ou moins allongées — il faut préciser là que l'arrangement, qui avait permis de reconstituer une figure allongée, dans son idée, n'était d'aucun secours pour reconstituer la même figure, mais plus trapue — d'autres formes géométriques simples mais dont la description écrite serait une gageure fastidieuse, à l'encontre même de la simplicité de la figure, ainsi un rectangle allongé dont le grand côté serait deux fois plus grand que son petit côté, lequel serait tronqué de deux coins communs au même grand côté, la figure est inclinée vers la gauche, posée sur un des coins manquants du rectangle auquel il faut par ailleurs soustraire en inclusion un triangle rectangle isocèle de petite taille incliné de façon à figurer une flèche pointant à quarante cinq degrés vers le bas, cette description pourtant exacte en tous points et qui ferait trébucher même le plus attentif des lecteurs, cette figure donc, est en fait tout à fait élémentaire et limpide. D'autres énigmes étaient plus figuratives, aux pages de silhouettes représentant des oiseaux, succédaient des pages des chats, des cavaliers, des chiens, des lapins, des scorpions, des baleines, des silhouettes humaines chapeautées, des encriers et des tampons de toutes sortes et de toutes formes, une page dont la difficulté le disputait un peu à celles des formes géométriques, de doctes silhouettes dont la tête serait figurée par un carré posé sur la pointe, des têtes, des vases et des récipients, des bobines de fil, des socles sur lesquels seraient posés des figures géométriques, des arrosoirs, étonnante page qui me fit découvrir la diversité insoupçonnable des différentes formes d'arrosoirs, sans doute toutes réservées à des plantes auxquelles il convenait de prodiguer des arrosages différents, des bougies, des flèches, un homme assis devant un récipient, un autre tenant un livre ouvert à bout de bras, une collection de bonshommes livrés à toutes sorte d'activités triviales, une figure s'agenouillant devant une autre, des figures dansantes dont la tête serait systématiquement représentée par un carré, des barques, des bateaux, des figures sans apparente ressemblance avec quel qu'objet que ce soit, des énigmes non figuratives en somme, des abstractions très géométriques donc, des usines, des ponts, des portes, des armes à feu et des armes blanches, des outils dont une lame de scie qui me défia longtemps et plusieurs fois, des lampes, une lampe à huile dont la silhouette était composée de toutes les formes de base, séparées, mises bout à bout, avec le trapèze posé sur la pointe, au sommet de la figure, pour représenter la flamme de la bougie, en soi une non-énigme, des formes géométriques sans grand intérêt de résolution, de nouveau des chiens de toutes sortes et de toutes races, toutes sortes de petits mammifères, des bustes d'hommes en gilet et des vautours le cou rentré dans les épaules. Et de nouvelles figures encore. C'était sans fin. Je remplissais donc des heures à la résolution de ces puzzles dont la difficulté ne venait pas du nombre de pièces, à proprement parler, puisque ce nombre était invariable et limité à sept, s'il devait y avoir une difficulté liée au nombre de pièces, ce fut qu'elles ne furent pas assez nombreuses pour certaines résolutions ou au contraire, trop nombreuses tant il était facile de réaliser une figure en écartant une ou deux des sept formes de base, mais terriblement difficile de former cette même figure en y faisant rentrer toutes les formes de base, chaque énigme devant être résolue sans exception avec toutes les formes de base, pas une de plus, pas une de moins. Un après-midi — décidément je pense que ce qui me pesait le plus dans le Sud de l'Angleterre, c'était ces fins d'après-midi caractéristiquement sombres, à la lumière éminemment grise — tandis que j'hésitais sur le placement d'un triangle-rectangle isocèle, je le tenais en équilibre sur la pointe et j'entrevis la possibilité d'énigmes en trois dimensions. Cette possibilité nouvelle me donna tout bonnement le vertige pour l'infinité de possibles qu'elle générait à son tour, un vertige qui m'éloignait beaucoup du silence et de la tranquillité d'esprit retrouvée que je cherchais dans ce jeu, et cette pensée persistante de l'abîme tridimensionnel, que j'entrevoyais en songe, devenait tellement déplaisante que je cessai de jouer sur le champ, bien que je n'eûs pas résolu l'énigme en cours — la lame de scie qui me donnait toujours autant de fil à retordre — chose que je répugnais toujours à faire, et rangeait les sept formes de base du puzzle en un carré que je serrais dans son écrin. Un autre après-midi — tout aussi déprimant tel que le Sud de l'Angleterre savait si bien les réussir — passé à jouer au Tangram, me donna une comparable impression de vertige, lorsque j'envisageai que chaque forme de base était elle-même reconstituable par sept formes de base dans une plus petite échelle, chacune de ces sept formes de base proportionnellement plus petite, elle-même reconstituable par sept formes de base dans une plus petite échelle, chacune de ces sept formes de base proportionnellement plus petite, elle-même reconstituable par sept formes de base dans une plus petite échelle, chacune de ces sept formes de base proportionnellement plus petite, elle-même reconstituable par sept formes de base dans une plus petite échelle, chacune de ces sept formes de base proportionnellement plus petite, elle-même reconstituable par sept formes de base dans une plus petite échelle, chacune de ces sept formes de base proportionnellement plus petite, elle-même reconstituable par sept formes de base dans une plus petite échelle, chacune de ces sept formes de base proportionnellement plus petite, elle-même reconstituable par sept formes de base dans une plus petite échelle, chacune de ces sept formes de base proportionnellement plus petite, elle-même reconstituable par sept formes de base dans une plus petite échelle, chacune de ces sept formes de base proportionnellement plus petite , sans fin: on pouvait ainsi imaginer des formes de base qui auraient eu pour côté des fractions épsiloniennes du micron, ou au contraire, par addition des dimensions des formes de base reconstituées un grand nombre de fois ce qui n'auraient pas manqué de nous emmener aux confins de l'univers connu puis aux limites de l'univers inconnu, tout comme une feuille d'un dizième de millimètre d'épaisseur pliée cinquante fois sur elle-même, si tant est que la chose fût physiquement réalisable, ce qui n'est pas le cas, une feuille, donc, d'une épaisseur d'un dizième de millimètre, donc, pliée cinquante fois sur elle-même, donc, ce pliage, donc, serait d'une épaisseur égale à deux fois la distance de la Terre à la Lune, soit trois cent dix huit mille kilomètres — imaginez simplement de la replier cinquante fois de plus. Mais cette angoisse persistante était l'exception. Cet après-midi-là, j'envisageai, aussi avec un peu d'épouvante deux nouvelles possibilités d'enrichissement du jeu de Tangram, l'une qui aurait consisté à résoudre les énigmes avec un grand nombre de formes de base, ainsi reconstituer un carré, non plus à l'aide des sept formes de base, mais désormais avec un nombre élevé de pièces — qui ne soit d'ailleurs pas nécessairement multiple de sept, ou un nombre de pièces qui ne respecte pas la distribution actuelle des sept pièces en cinq triangles-rectangles isocèles, dont deux de grande taille, un de taille moyenne, et deux de petite taille, un carré et un parallélogramme— devait, désormais, être proche de l'inatteignable ou d'une difficulté qui aurait ressemblé à celle qui consiste à reconstruire un puzzle classique, d'un grand nombre de pièces, et qui représenterait Carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malevitch ou une toile typique de Barnett Newman. Une autre possibilité d'enrichissement résultait de la possibilité de résoudre différemment les énigmes dès lors qu'il fût admis de superposer partiellement ou complètement les formes de base. Ces considérations quand elles me vinrent à l'esprit avaient des effets néfastes sur mon humeur, tant elles me plongeaient dans des abîmes anxieux qui tutoyaient l'infini. Mais ces angoisses persistantes étaient l'exception, tant les heures, que j'avais passées à la résolution des énigmes de Tangram m'avaient toujours conduit à la quiétude et à la détente. A mon grand étonnement d'ailleurs, tandis que j'arrêtais de jouer après quelques heures, ou ne serait-ce qu'une dizaine de minutes, ma perception de la pièce, comme de l'appartement et des objets qui le peuplaient, n'était en rien altérée, comme si le cours de ma pensée n'avait connu, ni suivi les détours et les méandres du jeu, et que cette pensée fût au contraire plus claire, comme débarrassée de l'excédent de bagages, qu'étaient sûrement les préoccupations pesantes qui lestaient mon humeur, avant que je ne joue au Tangram. Cette constatation n'avait de cesse de m'étonner tant le jeu de Tangram différait en cela des échecs — et notamment des échecs d'Alice, variante du jeu d'échecs se jouant sur deux échiquiers, l'échiquier A et l'échiquier B, posés côte à côte mais en n'utilisant que les trente deux pièces d'un seul échiquier; la position de départ d'une partie est celle d'une partie normale sur l'un des deux échiquiers, l'échiquier A, l'échiquier B étant vide; pour chaque coup joué la pièce est prise d'un échiquier pour être transférée sur l'autre échiquier et ce, même en cas de prise; le Roi ne peut se rendre sur l'autre échiquier pour échapper à ses adversaires, si la case est par ailleurs gardée par l'adversaire sur l'échiquier qu'il est en train de fuir; une pièce ne peut être prise que sur l'échiquier de départ, et de fait, une pièce ne peut se rendre sur l'autre échiquier que si la case envisagée est libre — pratique qui au contraire monopolisait beaucoup de la pensée et qui finissait par conditionner mon humeur en superposant, avec brutalité presque, un quadrillage en soixante quatre cases sur ma perception du monde environnant, et en forçant sur ses habitants des trajectoires héritées des déplacements, somme toute limités de pièces de jeu d'échecs. Longtemps aussi, je fus persuadé que la pratique régulière du Tangram me donnerait quelque révélation visuelle qui aurait quelque incidence sur ma peinture, mais mon appréhension des formes, des couleurs et des structures, des matières et des formats ne sembla jamais empâtir de la pratique du Tangram ou du Tch'i Tch'iao, précise-je pour mes lecteurs chinois. Quelques années plus tard, lorsque James et moi, nous nous sommes revus, après tout ce temps, selon l'expression de James, il me demanda des nouvelles de mon frère Alain. Je dus l'informer, péniblement, que mon frère Alain s'était suicidé, il y avait de cela sept ans.