Enfant j'ai le souvenir d'après-midis de dimanche
gris,
au coeur de l'hiver, dans la
grande maison de Loos. Aux quatre côtés
de la grande table du salon, soufflaient les quatre vents, le vent d'Est,
le vent du Sud, le vent d'Ouest et le vent du Nord. Nous jouions au
Mah-Jong, mon Oncle Michel, mon père, mon cousin Gérard,
fils de mon Oncle Michel et moi, fils de mon père. C'était
le dimanche en fin d'après-midi, avant que nous ne repartions
à la fin du week end, vers Paris, pour la banlieue. Ces dimanches
après-midis ne s'étiraient pas assez lentement et pesait
sur eux sans cesse la menace d'être interrompus à tout
moment par mon père qui aurait dit on en fait une dernière
et puis on va y aller ou ma mère serait entrée dans
le salon, faisant rentrer avec elle l'air frais du couloir — le
rez-de-chaussée de la grande maison de Loos était en fait
divisé en deux parties distinctes,
parallélépipèdiques et séparées par
un couloir long comme le grand côté des deux parallélépipèdes
en question, un des deux parallélépipèdes
rectangles formait le grand salon, la pièce où nous jouions
au Mah-Jong tandis que l'autre parallélépipède
rectangle contenait la cuisine, la salle à manger et une petite
pièce bibliothèque-salon, les deux parallélépipèdes
rectangles étaient chauffés avec de rustiques chaudières
au gaz poussives, quant au couloir, il n'était pas chauffé,
surtout mal isolé, les courants d'air froid du dehors
y entraient comme chez eux et n'étaient jamais chassés
tout à fait, aussi lorsque l'on voulait passer d'un parallélépipède
rectangle à l'autre parallélépipède
rectangle il fallait affronter l'air glacial du couloir et refermer
sur soi aussi vite que possible les portes donnant sur le couloir pour
éviter que cet air froid ne s'engouffre tout à fait dans
les deux parallélépipèdes
rectangles — ma mère entrait donc dans le salon pour rappeler
mon père à l'heure tandis que mon Oncle Michel pesait,
avec gravité, le pour et le contre de ramasser un sept cercles
pour faire un Chi ou d'attendre patiemment le neuf cercles
qui lui aurait permis de faire un Pon et, de ce fait, se donner
de meilleures chances de réaliser un beau Mah Jong,
formé d'une séquence de tuiles plus élégante
— si tout ceci est du chinois pour vous, je vous enjoins d'aller
page 241 de
ce livre où les règles du Mah Jong sont expliquées,
traduites de l'anglais par mes soins; par ailleurs vous serez également
en mesure de vous confectionner votre propre jeu de Mah Jong — ma
mère donc serait entrée dans le salon pour rappeler à
mon père qu'il était déjà tard et que nous
avions de la route à faire. Nous — mon Oncle Michel, mon
père, mon cousin Gérard, fils de mon Oncle Michel, et
moi, fils de mon père — redoutions tous cette entrée
dans le salon et dès que nous entendions l'autre porte du couloir
s'ouvrir, le charme et la magie de la partie s'estompaient un instant,
se suspendaient tout à fait, mais non, cette fois-ci, c'était
ma tante qui demandait si mon père ou mon Oncle Michel voulaient
du café, mon Oncle Michel renchérissait
et demandait à mon père s'il ne voulait pas eune ch'tiotte
goutte de g'nièvre, pour pousser le café. Vaine résistance
du père. Mon oncle Michel et mon père posaient un demi-sucre
sur le bout de la langue, une lampée de genièvre et une
gorgée de café chaud, à leur regard, on voyait
bien que c'était bon, ça sentait bon aussi l'haleine heureuse
où se mêlait le genièvre et l'alcool de mousse à
raser, l'odeur mélangée rassurante du père de l'enfance,
du père qui embrassait son garçon, plus tard, pour le
consoler de cette fin de partie, il allait falloir repartir et remonter
dans la voiture, une Peugeot 304 bleue cobalt aux sièges en skaï
marrons clair, ça sentait la voiture, mon frère Alain
était souvent malade. Un jour dans la voiture, la Peugeot 304
bleue
cobalt aux sièges en skaï marrons
clair, mon père me demanda si j'étais capable de retenir
un nombre à six chiffres, pendant toute une journée. J'aurais
fait n'importe quoi pour m'en souvenir. Je dis oui. Mon père
chercha un peu, puis posément, en articulant bien, et en ayant
prévenu qu'il ne dirait le nombre qu'une seule fois, qu'il ne
répéterait pas le nombre, alors, en articulant bien entre
chaque mot, l'épaisseur d'un point-virgule; cent, cinquante;
deux; mille; trois; cent; quatre, cent cinquante deux mille trois cent
quatre. De l'index je dessinais en les imaginant les chiffres sur la
banquette arrière de la Peugeot 304 bleue
cobalt avec des sièges en skaï marrons
clair. Cent; je trace un un. Cinquante; je trace un cinq. Deux; je trace
un deux. Mille; je fais un point, toujours de l'index et toujours au
même endroit sur le siège en skaï de la Peugeot 304
— la Peugeot 304 est bleue
cobaltet les sièges sont en similicuir
,
en skaï marron
clair, une Terre
de Sienne très dessaturée — en superposant les
chiffres et le point des mille les uns sur les autres. Trois; je trace
un trois, cent, j'attends, quatre; je trace en toute hâte un zéro
puis un quatre. Je répète pour moi, en silence, mais mes
lèvres remuent le nombre cent cinquante deux mille trois cent
quatre, le répète encore, en serrant mes mains contre
ma poitrine — j'aurais pu serrer mes mains contre mon front comme
pour m'emprisonner le nombre dans le crâne, mais c'est sur la
poitrine que je serrai mes poings — cent cinquante deux mille
trois cent quatre. Et puis très vite je répétai
cent cinquante mille trois cent quatre sept fois, non, pas
un million soixante cinq mille cent vingt huit mais, cent cinquante
deux mille trois cent quatre, cent cinquante deux mille trois cent quatre,
cent cinquante deux mille trois cent quatre,
cent cinquante deux mille trois cent quatre, cent cinquante deux
mille trois cent quatre, cent cinquante deux mille trois cent quatre,
cent cinquante deux mille trois cent quatre, cent cinquante deux mille
trois cent quatre, en silence, mais mes lèvres remuent de
plus en plus vite. Et puis une dernière fois, à toute
allure, centcinquantedeuxmilletroiscentquatre. Le soir mon père
ne me demanda pas quel était le nombre à six chiffres
dont il fallait que je me souvienne toute une journée: mon père
oublia de me le demander. Je le savais pourtant. J'attendais mais je
savais cependant que la règle tacite voulait que je ne demandasse
pas à mon père de me demander quel était le nombre
à six chiffres dont il fallait que je me souvienne toute une
journée. Ce soir là, mon père ne me demanda pas
quel était le nombre à six chiffres dont il fallait que
je me souvienne toute une journée: je ne l'oubliais pas. Le soir
longtemps, j'attendais que mon père me demandât quel était
le nombre à six chiffres dont il fallait que je me souvienne
toute une journée. Je n'oubliai pas, ni le nombre, ni que mon
père oubliât de me le demander. On, mon père et
moi, estimons à dix ans le délai qu'il fallût à
mon père, plus vieux de dix ans donc, pour se rappeler de me
demander, à moi, plus vieux de dix ans donc, quel était
le nombre à six chiffres dont il fallait que je me souvienne
toute une journée. Ce jour-là, je, l'enfant plus vieux
de dix ans, souris, pensif et sans hésitation dis, en marquant
bien les points-virgules cent; cinquante; deux; mille; trois; cent;
quatre. Mon père sembla hésiter, mais confirma, il
dit même, oui c'est ça, il y avait les six premiers
chiffres contenus dans le nombre à six chiffres dont il
fallait que je me souvienne toute une journée. Le zéro,
le un, le deux, le trois, le quatre et le cinq, un moyen mnémotechnique,
en somme. Je fus étonné et répondis que je ne m'en
étais pas aperçu et que donc je ne m'étais pas
servi de cette astuce. Maintenant je m'en souviens avec souci de précision,
pas simplement les sièges en skaï marron
clair — lorsque la chaleur de l'été, c'était
en 1976, l'année de la canicule, s'accumulait dans la conduite
intérieure en skaï, nous pouvions, mon frère Alain
et moi, difficilement nous asseoir à cuisses nues sur les sièges
tellement ceux-ci étaient brûlants de la chaleur caniculaire
retenue prisonière dans la voiture — je me souviens de la
Peugeot 304 bleue
cobalt, pour le trois cent quatre de cent cinquante deux mille
trois cent quatre, c'était évidemment un autre moyen
mnémotechnique. La voiture allait bon train, mon père
conduisait — à toute berzingue, comme nous avions
coutume de dire mon frère Alain et moi — à vive allure
sur la route sinueuse qui sépare le Pont de Brésis de
Vielvic, dans le département de la Lozère. J'étais
assis derrière ma mère, mon frère Alain derrière
mon père, nous faisions attention de ne pas gêner dans
le rétroviseur, et c'est de fait sur cette portion de skaï
inoccupée entre les deux sièges à l'arrière
que j'avais tracé les chiffres, de l'index, un; cinq; deux; virgule;
trois; zéro et quatre. Cent cinquante deux mille trois cent quatre.
CQFD. Pour adoucir le départ du Nord, le retour vers Paris, ma
tante y allait de son petit chocolat blanc
belge — c'est belge, c'est bon — une petite praline,
juste une, pour la route, une petite gaufre de chez Meer,
un petit spéculoos, une petite faluche, un
petit pain-gâteau, — sans se rendre compte que cet
épithète de petit omniprésent dans sa conversation,
s'agissant de nous les enfants, donnait sur les nerfs de mon père
auquel elle répondait toujours in infint qui fait assmotte,
c'est le mitin d'ses nourritures ( un enfant qui fait à
sa mode c'est le mi-temps de ses nourritures ) — un petit
pain cramique et puis pour tous, un carton contenant invariablement
un sac de cassonade blonde,
des sachets de levure pour faire des crêpes du Nord, des vraies
crêpes, du sucre-glace, une mimolette ancienne et entière,
ronde comme un ballon de basket-ball, dure comme de la pierre et cassante
comme de la fonte, rapportée par mon Oncle Michel — la fierté
de mon père, le fromage de la maison De Jonckheere à Lille
— et puis pour nous les enfants un camembert pas encore emballé,
avec tous ses champignons dressés comme les cheveux sur la tête,
horripilés
, pour préserver l'horripilation fragile des champignons, nous
posions le fromage sur la plage arrière de la Peugeot 304 bleue
cobalt aux sièges marrons
clair, tout cela qu'on ne trouvait pas à Paris, dans la banlieue
parisienne. Sur la table de jeu et son molleton carmin,
la lumière tombait très douce qui filtrait dans le salon
par les verres dépolis des portes fenêtres de la véranda
attenante au salon. La lumière venait donc
du Nord, idéalement placée qu'était la véranda
pour la peinture de mon Oncle Michel. Mon Oncle Michel était
peintre, un peintre éminemment figuratif, paysagiste, ayant eu
son heure de gloire au Salon des Naïfs et Primitifs à
Paris, une toile avait été vendue lors de ce salon, la
chose paraît invraisemblable. A l'époque mon Oncle Michel
s'était enorgueilli d'un pareil succès et puis il disait
qu'il ne crachait pas sur le chèque — expression
qu'enfant j'avais du mal à comprendre — et que cela mettrait
du beurre dans le pinard — expression d'autant plus incompréhensible
pour moi, enfant. A vrai dire dans cette famille, comme sûrement
dans beaucoup d'autres, nous étions très fiers de cette
transmission avunculaire du don de la peinture. Avant mon Oncle Michel,
il y avait eu l'Oncle Robert, grand prix de Rome en son temps, il y
avait moi maintenant que mon Oncle Michel initiait à la peinture
à l'huile, et qui à l'époque, comme disait mon
Oncle Michel, promettait, mais l'avenir prouva sans doute que le
don avunculaire s'était dilué tant mon Oncle Michel
était à des lieux d'un Prix de Rome et comme je ne vendis
jamais une toile suffisamment cher pour mettre du beurre dans le pinard.
J'apprenais la peinture à l'huile sur des formats tout petits,
sur lesquels j'entamais des peintures d'après les carnets de
croquis de mon Oncle Michel, essentiellement consacrés aux paysages
des alentours. J'écoutais distraitement les conseils de mon Oncle
Michel qui se désespérait de me faire entendre raison
quant aux ciels que je peignais toujours trop
bleus,
et qu'il aurait fallu, au contraire, faire monter avec parcimonie, du
fait de la difficulté de reprendre un ciel, même à
la peinture à l'huile et aussi parce que la couleur bleue
était prompte à faire de l'ombre aux autres couleurs,
en les dessaturant. Mais je n'en avais cure, me jetant sur les bleus
intenses qui conféraient bien évidemment à mes
ciels des teintes stratosphériques tout à fait irréelles
et inimaginables pour des paysages de plaines du Nord, habituellement
baignés de lumière douce et incidente. Mon Oncle Michel
profitait que je ne pouvais pas repartir avec mon tableau sous le bras,
compte tenu du temps de séchage de la peinture à l'huile,
une tentative avait échoué et causé un quasi désastre,
parce que posée à plat sur la plage arrière de
la Peugeot 304 bleue
cobalt aux sièges marrons
clair, un coup de frein un peu brusque de mon père avait projeté
la petite toile, pas encore sèche, sur l'anorak tout neuf de
mon frère Alain, les parents avaient râlé pour l'anorak,
mais m'avaient laissé seul à contempler le désastre
de la petite peinture dont les couleurs s'étaient mélangées,
débordant les unes sur les autres, elle était foutue.
Ma première peinture. Mon Oncle Michel, donc, profitait, donc,
du laps de temps entre deux visites dans le Nord pour s'échiner
à tempérer le bleu
de mes ciels et si d'aventure d'une fois sur l'autre je m'étais
rappelé de la couleur initiale de mon ciel, ou que je me sois
aperçu que la couleur n'était plus la même, mon
Oncle Michel m'expliquait que c'était sûrement à
cause de son nouveau vernis, qu'il utilisait désormais, et que
ce maudit vernis faisait toujours cela avec les bleus.
Pour me consoler il me faisait remarquer qu'au contraire les rouges
des maisons en briques étaient très réussis, et
au regard de cet heureux résultat, l'intégrité
de mes ciels bleus
foncé devenait secondaire. Mon Oncle Michel avait également
une technique bien à lui, une palette qu'il avait développée
lui-même et qui consistait à
mélanger un peu d'ocre
jaune dans toutes ses couleurs, ce qui conférait à
sa palette une grande homogénéité. J'aimais beaucoup
ce secret qu'il gardait jalousement et dont je devais absolument taire
le principe. Je demandais s'il fallait mettre une pointe d'ocre
même dans les verts.
Même dans les
verts, me répondait mon Oncle Michel, sentencieux. De
même pour les murs en briques
rouges, grande constante dans les oeuvres de mon Oncle Michel, un
savant mélange de carmin,
de vermillon,
d'ocre
bien sur, de
Sienne foncée et une pointe de rouge
de cadmium permettait à ses yeux d'approcher au plus près
la teinte des briques des maisons du Nord. J'aimais particulièrement
peindre des murs de brique, si fréquents dans les carnets de
croquis de mon Oncle Michel. J'appris plus tard que cette prédilection
était coûteuse pour mon Oncle Michel, car c'était
essentiellement à l'aide de rouge
de cadmium que l'on atteignait la nuance exacte de rouge
brique voulue, et les tubes de cette couleur étaient hors
de prix. Jamais mon Oncle Michel ne dit un mot de cette contrainte,
sans doute qu'il était convaincu que le véritable artiste
ne devait pas s'arrêter à de pareilles broutilles, au même
titre que mon Oncle Michel avait le plus grand respect pour les règles,
parfois mystérieuses et les rites rébarbatifs du jeu de
Mah-Jong, entre autres la nécessité de construire une
muraille avec les tuiles du jeu, pour chaque nouvelle partie, plutôt
que de se contenter d'un vrac des mêmes tuiles, toutes retournées,
qui aurait formé une pioche; et la formule d'usage pour justifier
cette obédience aveugle aux fondements du Mah-Jong était
toute entière contenue dans cette phrase mille fois entendue,
le jeu c'est le jeu. Si la règle du Mah Jong avait spécifié
qu'il faille aux joueurs, avant d'entamer toute nouvelle partie, de
faire trois fois le tour de la table à cloche-pied, en hululant
quelques mots de chinois incompréhensibles — mais néanmoins
hululés avec l'accent cht'imi — tout en recevant sur la nuque
des coups de baguette copieux et munificents de la part des autres joueurs,
mon Oncle Michel aurait sans doute insisté pour que nous nous
plions à de tels rites et de pareilles règles aussi aberrants
soient-ils. Mon Oncle Michel avait d'ailleurs ajouté aux règles
ancestrales du Mah Jong quelques rites tout de son cru, tels que l'humiliation
du jeune roumi qui se croyait grand maître et qui consistait
à donner un gage à celui qui avait abattu deux Pon
d'honneurs et qui avait fini son Mah Jong, en faisant un ou
deux Chi ,
sacage d'une belle main dont il se rendait lui-même coupable plus
souvent qu'à son tour, excusant son geste d'un le jeu c'est
le jeu humble et honteux. La lumière était douce
donc qui tombait sur nos murailles et les dés minuscules que
nous jetions pour déterminer, savamment, où la muraille
devait être entamée pour distribuer aux quatre joueurs,
aux quatre vents, leurs écots de treize tuiles, quatorze pour
le vent d'Est qui défaussait la première tuile. Nous jouions
avec lenteur et mon père soutenait avoir vu des joueurs de Mah-Jong
à Singapour, qui jouaient à un rythme frénétique,
faisant glisser les tuiles vers le centre du jeu et les claquant d'un
coup sec, si elles permettaient de faire un Chi, un Pon,
un Kan ou Mah-Jong, conférant sans doute aux
parties des allures de jeu de réflexe. Cela laissait mon Oncle
Michel rêveur et perplexe qui nous avait exhortés une fois
ou l'autre à jouer plus vite par souci d'authenticité
et de respect conforme de la cadence de jeu prétendument rapide
des Chinois. Ces tentatives d'accélérer le jeu échouèrent,
nous n'étions pas chinois et le jeu repris, par la suite, cette
lenteur qui de fait aurait peut-être exaspéré un
joueur chinois. Pour le reste la magie du jeu opérait d'elle
même. Nous annoncions cérémonieusement les tuiles
rejetées: sept cercles, printemps, hiver, un bambou, neuf bambous,
deux cercles, trois cercles, Nord, cinq cercles, NORD:
Pon, cinq bambous, EST: Chi, huit
caractères, quatre caractères, six cercles, dragon rouge,
OUEST: Pon, deux bambous, dragon rouge,
huit bambous, deux bambous, Ouest, dragon blanc,
un bambou, cinq caractères, SUD: Pon,
deux caractères, un caractère, Nord, dragon blanc,
Ouest, deux caractères, neuf bambous, deux caractères,
SUD: Pon, quatre caractères, sept cercles,
un cercle, huit caractères, été, Est, cinq bambous,
Est, Est, sept cercles, quatre bambous, Sud, six bambous, trois bambous,
deux bambous, chrysanthème, neuf caractères, OUEST:
Pon, six caractères, NORD: Pon,
neuf bambous, EST: Mah-Jong! A la fin de chaque
partie, mon Oncle Michel tenait une comptabilité serrée
à double vérification
du décompte des points, n'omettant aucune des subtilités
si nombreuses qui permettent à chaque joueur de multiplier la
valeur de son jeu par deux, plusieurs fois, des éloges nous étaient
adressées à mon cousin Gérard, fils de mon Oncle
Michel, et à moi, fils de mon père, pour avoir réussi
des combinaisons de belle valeur, à base d'honneurs, dragons
et vents, un Kan de son vent ou du vent dont on jouait le tour
était célébré par mon Oncle Michel, tandis
qu'il se désolait que mon père ou lui-même aient
fait un Mah-Jong perclus de Chi et aux suites mêlées,
c'était du gagne-petit et cela s'appelait bocher son
jeu, expression dont je ne parvins jamais à déterminer
l'origine étymologique ni même à trouver la trace
dans quel que dictionnaire que ce fût — et si un mot est mal
orthographié dans le dictionnaire comment ferait-on pour le trouver?
Il est pensable cependant que l'expression vinsse du péjoratif
Boche pour les Allemands, puisque l'apprentissage du Mah Jong
par mon Oncle Michel et mon père, frère de mon Oncle Michel,
date probablement de l'Occupation, supposition un peu hardie tout de
même. Je me souviens aussi de l'intensité croissante des
parties où nous étions tous les quatre — mon Oncle
Michel, mon père, mon cousin Gérard, fils de mon Oncle
Michel et moi, fils de mon père — tendus vers ce but —
faire Mah Jong — qu'il fallait atteindre avant les autres.
Les premières tuiles étaient de fait défaussées
avec désinvolture presque et puis au fur et à mesure que
les autres joueurs avaient étalé quelques combinaisons
qui les rapprochaient du Mah-Jong, nous défaussions
les tuiles avec davantage de circonspection, soulagés que nous
étions de pouvoir défausser de tuiles dont un ou deux
exemplaires avaient déjà été rejetés,
dans l'attente fébrile d'une tuile du mur qui permettait de faire
avancer son jeu, désolés de tirer un bambou tandis que
nous collectionnions les caractères, poignardés dans le
dos lorsqu'un autre joueur annonçait un Pon, navrés
de devoir passer son tour, toujours anxieux que l'on puisse rater une
tuile en n'annonçant pas assez vite — mon père était
intraitable sur ce point qui disait, trop tard, j'ai déjà
tire ma tuile et mon Oncle Michel de renchérir, le jeu
c'est le jeu — la tension augmentait et croissait pour chuter
d'un coup lorsqu'un joueur annonçait Mah-Jong. Nous
abattions tous à regret nos jeux et chacun demandait à
tout hasard qui retenait telle ou telle tuile, laquelle aurait également
permis de conclure. Si le vent d'Est avait gagné, il gardait
le vent d'Est, en revanche si le vent d'Est n'avait pas fait Mah
Jong alors mon Oncle Michel annonçait cérémonieusement
les vents tournent. Ces parties disputées avec sérieux
et protocole plongeaient l'enfant que j'étais dans les mystères
insondables et un peu inquiétants de la Chine des Empereurs et
de la Cité interdite. Dans mon souvenir je n'aperçois
qu'indistinctement le débardeur en jacquard beige
et brun de mon
Oncle Michel, parce que si d'aucun insinuait que mon Oncle Michel fût
vêtu en fait d'un kimono de cérémonie et d'un chapeau
pointu tressé, je le croirais sur parole. Tout ce folklore s'écroula
le jour où mon ami chinois, Liu Sian, lors de l'un de ses séjours
en France dans toute l'exiguité de mon appartement parisien,
m'expliqua que le jeu de Mah Jong en Chine était surtout le fait
de vieilles rombières de province, des femmes désoeuvrées
qui jouaient dans le vacarme assourdissant des commérages colportés
de table en table, telles de vieilles Anglaises poudrées ne ratant
pour rien au monde leur bingo du samedi après-midi .
De même je me souviens d'un après-midi, et du soir qui tombait, sur une interminable partie de go avec James. Je ne sais plus à la faveur de quelle discussion James découvrit avec étonnement, que je savais jouer au go — en tous cas, moi, je fus moins étonné d'apprendre que James savait jouer aux échecs — et dès lors nous nous promîmes de croiser le fer au go. C'était en automne, James arriva au début de l'après-midi, avec sous le bras, un jeu de go qui m'intimida tout de suite. En effet, le go-ban, par là j'entends la surface quadrillée sur laquelle les joueurs déposent tour à tour leurs pierres noires et blanches — pour tous ceux qui voudraient suivre un peu plus facilement l'esprit de la partie que j'entends décrire maintenant, je les renvoie à la page 229 à partir de laquelle ils pourront, à moindres frais, se fabriquer un jeu de go et connaître les rudiments de ce jeu — le go-ban donc, qu'avait apporté James m'intimida tout de suite parce que je n'en avais jamais vu de tel. Jusqu'à présent je n'avais joué que contre des amis et des partenaires occidentaux lesquels, tous sans exception, s'étaient toujours acheté de très beaux jeux de go, avec un go-ban en tek, en kaya, en if quoi, en icho ou en honiki ou dans d'autres essences de bois plus précieuses et plus dures encore, dont le quadrillage était finement pyrogravé et nous jouions avec des pierres de bakélite, tout persuadés que nous étions qu'une partie de go qui se respectait devait se jouer dans des conditions optimales de calme et de placidité et, c'était une évidence, sur un go-ban de belle qualité, tels qu'on les trouve généralement chez les antiquaires plutôt que dans les magasins de jeux. En cela, mes partenaires ponantais habituels et moi ne différions pas beaucoup de ces personnes qui ont chez eux un échiquier posé, dans une fausse spontanéité, sur l'angle d'une table basse du salon, les bords de l'échiquier admirablement décorés de marqueterie et les pièces grandiloquentes et baroques, toujours rangées dans leurs positions de départ, moyennant soit une erreur de placement entre le fou et le cavalier, soit entre le roi et la dame, soit plus souvent encore, l'échiquier placé avec une case noire en bas à droite — la case h8 placée en h1, la case h1 placée en a1, la case a1 placée en a8, et la case a8 placée en h8, ou encore la case a8 placée en a1, la case a1 placée en h1, la case h1 en h8 et la case h8 placée en a8, ce qui visuellement est exactement la même chose, et si bien sûr nous voulions être tout à fait précis et exhaustifs, nous pourrions énumérer la liste des éléments de l'ensemble des paires formées par les cases ayant été interverties, soit E, cet ensemble, E={(a1,a8); (a2,b8); (a3,c8); (a4,d8); (a5,e8); (a6,f8); (a7,g8); (a8,h8); (b1,a7); (b2;b7); (b3,c7); (b4,d7); (b5,e7); (b6,f7); (b7;g7); (b8,h7); (c1,a6); (c2,b6); (c3,c6); (c4,d6); (c5,e6); (c6,f6); (c7,g6); (c8,h6); (d1,a5); (d2,b5); (d3,c5); (d4;d5); (d5;e5); (d6,f5); (d7,g5); (d8,h5); (e1,a4); (e2,b4); (e3,c4); (e4,d4); (e5,e4); (e6,f4); (e7,g4); (e8,h4); (f1,a3); (f2,b3); (f3,c3); (f4,d3); (f5,e3); (f6,f3); (f7,g3); (f8,h3); (g1,a2); (g2,b2); (g3,c2); (g4,d2); (g5,e2); (g6,f2); (g7,g2); (g8,h2); (h1,a1); (h2;b1); (h3,c1); (h4,d1); (h5,e1); (h6,f1); (h7,g1); (h8,h1)} — autant de signes donc, qui font toujours sourire narquoisement les véritables joueurs d'échecs, quant à eux bien davantage habitués à jouer sur des échiquiers en molleton souple et avec des pièces en matière plastique singeant le buis. J'appris plus tard en suivant James dans deux ou trois clubs dans le Sud de la ville, que le go pouvait aussi se jouer dans des conditions exécrables, dans le tohu-bohu et le brouhaha d'un bar enfumé et entouré de spectateurs bruyants et toujours prompts à donner des conseils non sollicités, dont ils n'étaient, de fait, pas les payeurs, un peu sans doute à la manière des parties d'échecs disputés dans des cercles tels que j'en connaissais à Paris, où tout un chacun suffoquerait sans délai de l'odeur âcre et pénétrante de cendriers froids et de chemises collées aux aisselles de transpiration mauvaise, si tout un chacun n'était pas, soi-même, entièrement absorbé dans une partie poignante, toutes pensées accaparées par une position acéréee. Or le go-ban du jeu de James était en fait constitué de deux rectangles de carton, repris par une épaisse bande adhésive toilée, et qui se dépliait en un carré quadrillé dont les lignes étaient suffisamment effacées par endroits pour qu'elles fussent repassées à la main à l'aide d'un feutre. Une ancienne boîte de biscuits, elle-même très patinée et rouillée aux jointures, contenait sans ordre toutes les pierres du jeu, noires et blanches pêle-mêle. A l'évidence un grand nombre de parties avaient déjà été disputées sur ce jeu fatigué qui de fait me rappelait l'usure, très avancée elle aussi, de mon échiquier et de ses pièces dont une ou deux, brisées, avaient été recollées sans soin excessif, et de la boîte les contenant dont le fond était dorénavant retenu par un épais morceau de scotch noir grossier. A cette vétusté, je compris immédiatement que j'allais prendre une raclée. Mais encore à cet instant, tandis que James avait posé son jeu, défait son manteau et que je lui avais proposé un verre et un cendrier, j'étais déterminé à vendre chèrement ma peau, et pourquoi pas, pensai-je, contrarier le cours naturel de la partie qui s'annonçait. Nous nous installâmes sur une table basse par moi confectionnée avec quelques chutes de bois de coffrage et d'autres récupérations diverses, et donc bancale — il suffisait déjà que je sois un piètre peintre, un peintre en bâtiment, s'entend, j'étais un très médiocre menuisier dont la seule spécialité était de fabriquer des châssis pour mes toiles, lesquelles étaient de fait rarement rectangulaires — ce qui ne me choquait plus, bien sûr — le mauvais aplomb de la table basse, s'entend, tandis que je continuais de pester contre l'irrégularité de mes châssis — mais cela, le déséquilibre de la table basse, dérangea James immédiatement. James s'enquit d'un morceau de carton d'emballage qu'il plia dûment en quatre pour caler le pied défectueux de ma médiocre table basse. Je fis alors remarquer à James qu'il y avait deux types d'approches devant une table ou une chaise bancales — et par extension toute autre situation boiteuse — celle qui consistait à la palier prestement, comme il venait de le faire — approche dite classique ou rationnelle — et cette autre approche — dite romantique — incertaine et empirique qui consistait à souffrir de l'instabilité de la table, de la chaise ou de la situation, des années durant, à l'époque, j'avais dit vingt ans, de ne jamais y remédier, et puis finalement d'éprouver une sorte de fétichisme à l'égard de cette imperfection , et, j'avais ajouté, toujours à l'époque, et d'écrire un roman dans lequel cette table ou cette chaise bancales tenaient un rôle déterminant. Dans son sourire habituellement courtois mais un peu perfide, James me dit alors que nous verrions bientôt laquelle de ces deux approches, la rationnelle ou la romantique, se montrerait la plus apte à rivaliser au jeu de go. Cette remarque acheva de détruire tous mes espoirs minuscules de sortir indemne de cette partie. Mais j'étais joueur et je n'entendais pas poser les armes sans avoir combattu. Je convoquais en toute hâte mes rudiments de go et je décidai de jouer avec une lenteur circonspecte, toute étudiée pour impatienter mon adversaire — stratagème peu élégant et pourtant éculé offrant malgré tout, aux échecs, des résutats assez probants lorsqu'il est employé en face d'un adversaire un peu trop pusillanime et empressé de faire éclater sa supériorité — et me donnant comme but tactique de jouer des thèmes défensifs, notamment tentant de constituer de ces fameuses figures appelées oeil, dans les territoires que mon adversaire allait construire, et qui sont, comme la pierre sur laquelle viennent se casser les ciseaux, des tumeurs de gangrène dans le camp adverse. Je jouais avec lenteur donc, faisant mine de poser doctement le pour et le contre de chaque emplacement sur lequel j'envisageais de poser mes pierres. Mon adversaire, au contraire, plaçait ses pierres avec davantage d'assurance et surtout moins de tâtonnements. En cela mon adversaire ressemblait un peu à une abeille qui butine, se déplaçant de fleur en fleurs, sans ordre apparent pour l'observateur non initié, mais sans atermoiement, selon un système imparable bien qu'invisible au néophyte, et surtout avec la sûreté née de l'habitude. De fait tandis que je concentrais mes coups sur une région du go-ban où j'entendais construire un oeil multiple dans le territoire ouvertement déclaré de mon adversaire, ce dernier ne m'offrait qu'une résistance lâche dans ce combat local jouant parfois des pierres dans une toute autre région du go-ban, laquelle n'avait aucun rapport ou proximité géographique avec la situation que je vivais avec intensité dans mon oeil prétendument intrusif. En fin d'après-midi, le jour vint à décliner lentement, une lumière grise entrait maintenant par les fenêtres et éclairait, avec une parcimonie croissante, le go-ban sur lequel s'accumulaient les pierres noires et blanches en un réseau visuel, sans cesse changeant, métamorphose permanente qui a toujours beaucoup contribué à mon plaisir de jouer au go. L'obscurité avait pris possession de tous les coins de la pièce, tout à notre partie, nous ne pensions pas à allumer. Nos pensées comme nos yeux s'abîmaient dans le quadrillage du go-ban, j'étais sur le point de fomenter un complot imparable sur trois pierres isolées de mon adversaire, que je pensais pouvoir prendre à rebours dans une construction de type shicho — position en forme d'escalier dans laquelle les pierres entourées et conquises courent à leur perte tout à fait, en tentant de se débattre et de se défaire de l'étau adverse, ce qui peut les conduire, par leur entêtement, jusqu'aux bords du go-ban, comme acculées au bord d'un précipice. Donc, tandis que j'assaillais trois pierres isolées de mon adversaire, ce dernier me dit qu'il considérait l'issue de la partie comme acquise, et attendait, de ce fait, mon consentement pour clore la partie. Pour ceux peu familiers des règles du go, que je continue de reporter à la page 229, il faut savoir qu'une partie de go prend fin dans le commun accord des deux adversaires qui reconnaissent ainsi que la partie ne comporte plus d'opportunités pour l'un d'eux d'agrandir son territoire au détriment de l'autre . Ma réaction fut, en bon occidental un peu borné, outrée, je fis remarquer à mon adversaire que je venais de jeter mon dévolu sur trois de ses pierres esseulées les tenant dans une tenaille de fer, en shicho, donc. Mon adversaire argua qu'il ne se faisait aucun souci pour ces trois pierres, qu'il disposait d'un shicho-breaker, par là il entendait que dans le parcours circonvenu dans lequel j'entendais conduire ses pierres, comme vers un précipice, se trouvait en fait un début de réseau formé par ses pierres, l'index droit de mon adversaire dessinant une descente en escalier, vers le bas du jeu, pour s'arrêter sur les pierres en question, qui lui permettraient de rebondir si tant est que je m'entêtasse à tenter, tétu, d'étêter de perpétuels fugitifs. Mon adversaire commençait à avoir raison de mon optimisme vacillant. Puis il me fit remarquer que quand bien même il n'eût pas, en l'espèce, disposé d'un shicho-breaker, il m'aurait volontiers abandonné ces trois pierres et leur territoire afférent, mais qu'en revanche, je ne serais jamais parvenu à lui contester sa suprématie aux abords ce cette mince victoire tactique qui avait requis beaucoup de mes efforts, aveugles de la stratégie plus englobante de mon adversaire et qui étendait son pouvoir et son efficacité, aux quatre coins du go-ban. Sans doute cet oeil minuscule que j'étais parvenu à construire au prix d'efforts fastidieux, et donc d'un grand nombre de pierres jetées sans recul dans la bataille, et dont l'efficacité avait été somme toute très modérée, cette construction fragile et empirique donc, avait, nul doute, donc, coûté ma perte en voilant mon regard du plus large dessein de mon adversaire. Je me levai pour allumer une petite lampe posée sur un coffre à l'angle du salon, et de fait dans son éclairage doux, toute la lumière était faite sur ma déconfiture. Je me rembrunis tout à fait et fit amende honorable auprès de James, m'excusant d'avoir pu lui dire que je savais jouer au go, quand à l'évidence, je soutenais si médiocrement la comparaison, j'aurais du lui dire que je connaissais les règles du go au même titre que nombreuses sont les personnes en Occident qui connaissent le maniement des pièces d'échecs, mais peu nombreuses sont-elles, somme toute, pour lesquelles les noms de Nimzovitch, Caro-Kahn, Petrov, Alekhine et Najdorf auraient évoqué le moindre concept tangible, tandis qu'à l'évidence les noms de U, Osan, Kumoshi, Wakino, Honinbo Sancha, Hayashi, Inoue, Yasui, Honibo Sayetsu, Berimbau, Yasui Sanchi, Inoue Inseki, Honinbo Jowa et Honinbo Shuwa, ne m'auraient pas évoqué grand-chose, tout grands immémoriaux du go qu'ils furent. Plus courtois que jamais, James me dit que j'avais été un agneau innocent et qu'il s'était comporté comme le loup entré dans la bergerie, [ dès qu'on lui avait ouvert la porte ], remarque qu'il laissa échapper avec un sourire canin inattendu et que je ne lui connaissais pas. Dix ans plus tard tandis que je revis James en voyage d'affaires à Paris, et que nous discutions de choses et d'autres, notamment de cette époque où nous vivions tous les deux à Chicago, aux Etats Unis d'Amérique, après tout ce temps, avait dit James, je lui demandais s'il jouait au go toujours aussi férocement — tant j'avais gardé la mémoire vive de son sourire canin et de ma condition d'agneau innocent — il sourit, sans doute dans le souvenir de son festin d'agneau gras pour loup affamé, et s'excusa presque en arguant que depuis dix ans déjà, son niveau de jeu avait beaucoup baissé, parce que d'après lui, il n'y mettait plus autant d'importance et peut être pas la même méchanceté. Ce sont ses mots. Je fus tout à coup parcouru d'un épouvantable frisson rétrospectif en me rappelant cette partie lointaine qui avait tourné à la leçon de modestie pour mon compte, mais à l'époque je n'avais pas ressenti qu'il se soit agi de méchanceté, cette dernière m'atteignait, enfin, avec dix ans de retard.
Quand mon ami chinois, Liu Sian, venait à Chicago, il prenait ses quartiers chez nous dans la petite chambre de notre vaste appartement. Liu Sian nous rendit un soir visite à Chicago. Il arriva très peu de temps après qu'une querelle entre ma future ex-femme et moi ait éclaté et se soit somme toute partiellement résorbée: la mauvaise humeur entre nous était encore opaque tandis que l'appartement, et notamment la cuisine-salon, par laquelle nous pénétrions dans notre appartement, portait les stigmates de notre violence coutumière, je n'en fais pas la liste exhaustive mais parmi ces cicatrices, la litière du chat était retournée et ses granulés répandus dans la penderie — le mot penderie en anglais pantry avait une fois provoqué une argutie houleuse qui tourna vite à la dissension entre nous, ignorant que j'étais de la signification de ce mot, ma future ex-femme qui pensait que le mot pantry venait du français, ne voulant pas croire à mon ignorance, me reprochait de faire le pitre et de ce fait de me dérober à la corvée qu'elle tentait de défausser sur moi, dans le cas présent, le rangement des courses alimentaires dans ladite penderie — deux assiettes brisées dépassaient de la poubelle, une aquarelle très sombre de ma future ex-femme, que j'avais encadrée avec beaucoup de soin — en matière de cadre j'étais capable d'une minutie maniaque — tant cette aquarelle sombre, qui paraissait pourtant peu de chose, me touchait beaucoup, à vrai dire, elle m'émouvait et me faisait immédiatement penser aux tons de ferraille de la Mer du Nord tels qu'on les voit après la pluie sur la jetée du Clippon à Dunkerque dans le Nord de la France, cette aquarelle donc, accrochée au-dessus de l'évier, penchait maintenant beaucoup à gauche comme un bateau ivre de tangage — un car-ferry, bousculé et chahuté par les intempéries et la forte houle de la Mer du Nord — au-dessus de l'évier, donc, dans lequel des pétales de maïs soufflés au miel avaient perdu toute croustillance, inondés de lait demi-écrémé et de mousse de liquide vaisselle mêlés, mais chose plus étrange encore, un couteau de cuisine grand comme ça — comme dit la concierge de Tintin dans le Crabe aux Pinces d'Or, joignant le geste à la parole et parlant d'ailleurs d'un revolver, page 8, troisième bande, deuxième case — était fiché dans la porte de la cuisine, incidemment la porte d'entrée de notre appartement. Cette rixe, un peu outrancière tout de même, avait été causée par mon absence de bonne volonté à faire en sorte que tout notre appartement soit immaculé, qu'il subisse, en quelque sorte, un véritable nettoyage de printemps pour accueillir dans les meilleures conditions possible notre ami chinois, Liu Sian. Nos points de vue, celui de ma future ex-femme et le mien, différaient notamment parce que la visite de Liu Sian ne m'apparaissait pas comme une occasion plus particulière qu'une autre visite de tout autre ami, tandis que ma future ex-femme s'était faite toute une idée de saisir l'opportunité de cette visite pour montrer ses dernières peintures à Liu Sian , dans l'espoir d'obtenir de lui qu'il organisât une exposition desdites peintures à Toronto, dans la Province de l'Ontario, au Canada. Dans son esprit donc, il convenait de véritablement dérouler le tapis rouge, un effort que je n'étais pas préparé à consentir parce que je revenais d'une journée de travail fatigante, que je n'entendais pas l'alourdir davantage par la corvée, que je jugeais excessive, d'une currée et d'un décrassage printaniers. S'en suivirent de fait l'empoignade déjà mentionnée et les traces qui en résultèrent comme autant de plaies que notre appartement portait de notre altercation. En soi on pouvait dire que ma future ex-femme, à force d'insister avait fini par obtenir l'exact contraire de ce qu'elle souhaitait, c'est à dire qu'au lieu d'un appartement tellement propre qu'on aurait pu manger à même le sol, selon son expression rebutante, un ménage même superficiel, pour lequel j'étais prêt à me résigner de bonne grâce, n'avait finalement pas eu lieu et, qu'au contraire, la cuisine tenait davantage du capharnaüm. Liu Sian sonna tandis que le gros de la tempête avait soufflé, que j'avais déjà ramassé les deux assiettes brisées, que j'avais jetées dans la poubelle pourtant déjà pleine et que j'essuyais mollement, d'une éponge à peine rincée, les rebords de l'évier de la cuisine, tandis que ma future ex-femme pompait avec nervosité sur une cigarette américaine filtrée et allégée. Nous accueillîmes Liu Sian avec ferveur, j'étais très heureux de revoir cet ami, tandis que ma future ex-femme, malgré la fureur qui s'était prise d'elle pendant la dernière heure était encore capable de rassembler tous ses charmes pour recevoir notre ami chinois, Liu Sian, avec force sourires et embrassades. Liu Sian était d'excellente humeur et ne parut jamais s'apercevoir du désordre de la cuisine, pas même du couteau resté fiché dans la porte de la cuisine. A vrai dire toute la soirée, il resta assis à la même chaise, discutant avec chaleur et jovialité , s'ennivrant sur place, placide et immobile comme vissé sur son siège, tournant le dos au couteau de cuisine grand comme ça, tandis que ma future ex-femme et moi faisions face à notre ami chinois, Liu Sian, et au delà du visage poupon et badin de Liu Sian, qui s'amusait de tout ce soir-là, nous pouvions voir en arrière-plan le couteau de cuisine grand comme ça, fiché dans la porte de la cuisine. Liu Sian repartit de bon matin le lendemain, le couteau resta planté dans la porte toute la journée. Le soir, le temps était orageux, la télévision et la radio mettaient tout un chacun en garde contre les risques potentiels d'un ouragan dans la nuit, je ne pris pas cet avertissement à la légère, et je fis bien, tant je savais comment pareille exécrable météorologie avait des incidences déplorables sur la constance de caractère, somme toute fragile, de ma future ex-femme. Effectivement, en début de soirée, une oposition intense éclata entre nous et comme la dernière en date avait donné lieu à un jet de couteau, je n'étais pas décidé à m'exposer plus que de raison à ce qui ressemblait dans la colère de ma future ex-femme à un ouragan impétueux — et sur le champ, j'aurais donné raison à des générations et des générations de météorologistes américains qui s'étaient cantonnés, jusque là, à donner des prénoms féminins aux ouragans et aux typhons les plus spectaculaires traversant le pays — je sortis rapidement et ne rentrai que tôt le matin. Le couteau resta, une nouvelle nuit durant, fiché dans la porte d'entrée. Lorsque je rentrai tôt le matin, je le retrouvai toujours planté dans la porte. Je le défichai et constatai que sa pointe était tordue et émoussée. Ce matin-là j'employais ma première demi-heure de retour à notre appartement, à tenter, en vain, de redresser la pointe du couteau de cuisine grand comme ça. À ce jour la pointe de ce couteau de cuisine est toujours tordue, particularité que je constate encore aujourd'hui — avant de l'écrire je suis allé vérifier. La pointe tordue et émoussée de ce couteau, grand comme ça, me renvoie toujours à cette matinée. Chaque occasion qui m'est donnée de couper des poivrons en bâtonnets, des courgettes — dont ma future ex-femme avait horreur — en rondelles ou encore en deux coups de couteau dans le sens de la longueur puis en petits morceaux dans le sens de la largeur, des oignons des six façons différentes, méthode dite à la chinoise, en quartiers, en petits dés, en rondelles, en gros morceaux, en hachis, en quarts coupés en deux dans le sens de la longueur, du gingembre, en hachis ou en fines lamelles, de la tomate n'importe comment, des carottes, en bâtonnets, en rondelles, en quarts — deux coups de couteau dans le sens de la longueur — en rondelles, en ellipses, des navets en cinq morceaux aux formes quelconques, des pommes de terre, en morceaux également indifférents, en débitant ces légumes donc, je me souviens toujours de ce petit matin. De fait, il n'est pas rare, il est même habituel, que dans la cliquetis de la lame, affûtée mais légèrement tordue et ébrêchée, s'abattant en rythme sur le bois usé de mon billot, je puisse revoir dans une parfaite netteté, cette aurore où mon logis n'était habité d'aucun bruit, et où, après avoir retiré le couteau de la porte d'entrée d'où il était fiché, j'étais retourné dans la remise à outils, et j'avais essayé, très calmement, de redresser la pointe de ce couteau de cuisine, grand comme ça, tentative dans laquelle j'échouais, ce qui ne me vexa nullement, j'étais calme, remontant dans la cuisine, je préparais du café et retardais aussi longtemps que je le puisse le moment d'aller en porter une tasse à ma future ex-femme dans son lit. Le pouvoir évocateur de ce couteau n'a de cesse de m'étonner. Ainsi, sans même être occupé à couper courgettes, poivrons, aubergines et carottes, pommes de terre, oignons et tranches de lard, il me suffit souvent de regarder le manche du couteau cerné dans son râtelier de bois, pour sentir toute la chaleur matinale de ce mois d'août si lointain, un matin qui faisait suite à une nuit orageuse mais dont l'ouragan prévu n'avait finalement pas éclaté, le nôtre si évidemment. Ce matin calme, ce matin de dimanche, j'entends encore les sons mats produits par mes petits coups de marteau sur un martyr de bois, essayant vainement de redresser cette lame, n'y parvenant pas, sans m'offusquer de mon manque de réussite, continuant. De là où j'écris, je peux voir le manche du couteau: je sens l'odeur de ma sueur dans la chaleur de cette matinée d'août, l'odeur de cendrier froid de ma chemise qui m'a contenu fumant, et fumant cigarette sur cigarette, je suis calme, si merveilleusement calme, je renonce, un renoncement sans la moindre douleur, à parvenir à redresser la pointe à peine ébréchée et tordue de ce couteau de cuisine grand comme ça et je pardonne à ma future ex-femme. En préparant le café, que je m'oblige à ne pas faire trop fort, ma future ex-femme n'aimant pas, au contraire de moi, le café fort , je lui pardonne et je lui murmure que je l'aime, elle ne peut m'entendre, étant endormie, aussi je dis à voix haute, surtout quand tu écumes, mais le souvenir de l'écume justement aux commissures de ses lèvres me la fait craindre à nouveau. C'est tremblant que j'irai lui porter son café, pas trop fort, au lit, je retarde autant que je le puisse ce moment où il faudra prononcer, murmurer, son nom, la réveiller, ma future ex-femme ouvrira un oeil, d'abord inquiet, qu'elle fera aussi haineux que possible, renfoncera son visage dans les deux oreillers, me refusant tout regard, je ne lui caresserai pas les cheveux, effet de tendresse dont elle a horreur, mais je parviendrai bien à la rendre aimable dans le courant de la journée, ce qui me met du baume au coeur. Mais je pense aussi, cela est certain, que dans le courant de la journée, je parviendrai aussi à la faire me donner des coups, à m'insulter, à me jeter des objets au visage, j'envisage les objets épars qui jonchent le plancher de la chambre et les dévisage chacun en tant que possible. Je sais qu'elle n'a aucun a priori, que ma future ex-femme ne choisira aucun objet aux dépens d'un autre. Ma future ex-femme m'a déjà lancé en travers de la figure, heureusement en me manquant plus souvent qu'en m'atteignant, un verre à pied, un trousseau de clefs, un livre, Au-dessous du volcan de Malcom Lowry — your fuckin' Malcom-the-condom ( ton putain de Malcom à la con ) s'était-elle écrié en lançant le livre chéri — une trousse de toilettes, ouverte, et dont le contenu finit parterre, un stylo-plume de couleur grenat et au capuchon argenté, une courgette — pour la raison qu'elle n'aimait pas ces cucurbitacées, cette courge — une gomme, une balle de tennis, d'ailleurs que faisait-elle là?, nous n'y jouions, ni elle ni moi, une boîte de clous, heureusement presque vide, un couteau de cuisine, grand comme ça, je n'y reviens pas, une pomme de terre, une fourchette, et deux secondes plus tard, une cuillère, l'eau qui était contenue dans un verre posé sur la table de la cuisine, pourquoi pas le verre, cela me surprit, une telle modération et une pareille retenue n'étaient pas coutumières, un disque de jazz — The shape of the jazz to come de Ornette Coleman — qui de fait fut rayé, ce disque-là plutot qu'un autre parce qu'il lui cassait les oreilles, pour ma part, je n'aurais jamais pensé qu'un disque d'Ornette Coleman puisse me faire du mal, un tube de dentifrice — le mien, indubitablement, parce qu'il restait de pâte était impeccablement roulé vers le bouchon, pour ne pas en perdre une goutte — le sien de dentifrice, nous ne supportions mutuellement pas le goût de la marque du dentifrice l'un de l'autre — elle le pressait n'importe comment, avec le résultat aberrant mais escomptable que le dentifrice était en fait concentré vers le fond du tube et non vers son orifice, une pomme, une boscop, cinq cents grammes de pâtes, jetées de l'écumoire, brûlantes, deux jours plus tard, la même écumoire, vide et sèche, cette fois-ci, le tout-venant, en somme. Il m'a suffi d'ouvrir les yeux et de regarder le manche du couteau de cuisine, grand comme ça, à la pointe ébréchée et tordue, dans son râtelier. J'ai froid. Il m'arrive souvent d'aller volontairement dans la cuisine pour trouver du regard le couteau de cuisine grand comme ça, et ainsi chasser de mon esprit des pensées déplaisantes au profit de celle agréable au contraire de cette lointaine matinée d'août, et du calme des petits coups de marteau sur le martyr de bois plaqué contre la longue lame du couteau, grand comme ça.
Ma peinture alimentaire me devint un jour insupportable. Peindre des fenêtres, perché sur un frêle échafaudage, bien souvent l'échafaudage à proprement parler n'était qu'une planche épaisse, mais pas très large, posée en travers de deux échelles à l'aide d'équerres, qui décidément n'inspiraient aucune confiance excessive, à de bonnes hauteurs, atteintes grâce à des systèmes de rallonges successives des échelles, ce qui, bien sûr, ne contribuait nullement à la stabilité bringuebalante de l'ensemble, peindre des fenêtres donc, au fait d'instables édifices provisoires, évitant la chute plusieurs fois par jour, peindre des fenêtres donc, à dix dollars la fenêtre — en allant vite, il était possible d'en torcher une en une heure-une heure et demie — peindre des fenêtres donc dans les rigueurs de l'hiver continental et de son faux printemps, peindre des fenêtres donc avait fini par me donner sur les nerfs. Un soir en revenant d'un chantier dans le Sud de la ville, je traversais le quartier chinois, qui n'est d'ailleurs pas très étendu à Chicago, au contraire de ceux de New York et de San Francisco . Je m'arrêtais dans une cantine pour avaler un bol de soupe aux nouilles, et tandis que j'avalais ce dernier, à petites lampées conscientes de devoir faire durer le simple plaisir du liquide chaud, qui brûle la gorge et réchauffe le ventre, mon regard se perdait au loin dans cette grande salle impersonnelle meublée de tables en formica blanc et de chaises métalliques qui grinçaient: de nombreux Chinois avalaient goulûment des ventrées de pâtes sautées fumantes ou des soupes brûlantes. La journée avait été marquée par de nombreux allers-retours, de haut en bas de l'échelle, pour recharger de petites portions de peinture, de peur que cette dernière ne gèle, dans cet exercice répétitif je n'avais dérapé qu'une seule petite fois, je n'avais pas laissé tomber mon pot de peinture, ni mon grattoir, ni ma spatule, ni mon pinceau, ni mes cigarettes, je m'étais retenu avec flegme d'une seule main, nous n'étions pas très haut, au deuxième étage. Il faisait surtout très froid, mes collègues parlaient en Fahrenheit, ce qui ne me parlait pas toujours, et ce matin j'étais trop engourdi et paresseux pour soustraire trente deux , multiplier par cinq et diviser par neuf, ils n'avaient pas parlé de valeur négatives — lesquelles en Fahrenheit commencent bien après nos valeurs négatives en Celcius — pour éviter qu'elle ne durcisse de trop, nous mettions beaucoup d'essence de térébenthine dans notre peinture. Pas d'incident majeur avec mes collègues non plus. Les autres étaient tous mexicains à l'exception d'un Portoricain, de mon ami chinois, James, donc, et de moi. Tous considéraient mon ami chinois, James, comme un étranger vraiment étrange, tandis qu'à leurs yeux je n'étais qu'étranger, et d'ailleurs moins étranger, du point de vue de nos collègues mexicains, qu'Alejandro, le Portoricain avec lequel quelques tensions subsistaient toujours. De ce fait je faisais toujours équipe avec lui. Alejandro était un type plutôt tranquille, souvent de bonne humeur et qui aimait beaucoup regarder les femmes passer du haut de l'échafaudage. Pour la couleur des vêtements de chacune d'elles, il avait une petite ritournelle, quelque chose du genre, ah cette femme en rouge, je suis sur qu'elle aime comme je bouge ( I see that woman in yellow, she'd be fine on my pillow ou I see that woman in red, she'd be fine in my bed ), il chantait ses refrains avec la voix d'un Elvis portoricain, cela m'amusait plutôt, parce que je n'aime pas du tout Elvis Presley, je gouttais donc beaucoup cette parodie spontanée, et bien que j'eûs déjà entendu absolument toutes ses tirades au moins dix fois chacune, et ce pour toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Parfois j'entrais dans le jeu et lui faisais remarquer que tel rouge n'était pas exactement rouge mais plutôt écarlate et je le mettais au défi de trouver une rime pour cette nouvelle nuance de couleur, il ruminait quelques minutes, puis se tournait vers moi, triomphant, et avec les mêmes airs de crooner hispanique, il me chantait: la prochaine fois que tu vois cette femme habillée d'écarlate, dis lui que de ne pas m'avoir attendu, c'est une scélérate (Next time you see that woman in scarlet, tell her that I won't be late), et de fait sur le travail n'avançait pas, le patron nous houspillait en espagnol, ce qui bien sûr n'avait pas beaucoup d'effet sur moi, il aurait tout aussi bien pu me houspiller en chinois, quant à Alejandro, il ne semblait pas en avoir cure non plus, pas que ce soit du chinois pour lui, non il n'y prêtait jamais aucune attention et feignait plutôt d'être un peu dur d'oreille, une surdité sélective appuyée à l'égard des Mexicains. La bonne humeur nous tenait chaud, un peu. Mon ami chinois, James, lui, paraissait un peu mélancolique du haut de son échelle, il peignait toujours seul sur une échelle simple, et ne semblait pas trop se plaindre des pieds de poulet — pénible sensation qu'il est courant de ressentir, perché sur une échelle, les pieds appuyés, en leur milieu, sur le barreau de l'échelle et le corps pesant de tout son poids sur la voute plantaire, toujours au même endroit — ou tout du moins il n'en disait rien. Après cette journée dans le froid, je buvais donc mon bol de soupe à toutes petites lampées brûlantes, retardant de la sorte le moment où il faudrait sortir de la cantine et affronter la nuit tombée froide. Dévisageant le vide donc, mon regard finit par buter sur une affichette adossée sur un des piliers de la cantine Help Wanted, ce qui en fait traduisait une offre d'emploi dont le détail devait sûrement être narré par le menu dans les succinctes indications en chinois au bas de l'affichette. Ramenant mon bol et ma cuillère de fausse porcelaine vers le grand bac prévu à cet effet, où toute la vaisselle de la cantine trempait dans une eau javellisée, à peine trouble et tout juste bulleuse contre les parois du bac, je m'enquis auprès du type qui venait repêcher quelques bols retournés, à propos de cette offre d'emploi. Sans trop de ménagement, il me dit, toi attends ( you wait ) jusqu'à ce que vienne un homme tout petit, un peu bossu, vieux, poussiéreux en fait, habillé dans un costume sombre à fines rayures — comme on n'oserait pas en vêtir un mafioso minable, même pour les besoins d'un film de mauvaise qualité et de faible budget — qui, dans un anglais encore moins amène que celui de son employé, me demanda tout de go ( il fallait bien que je la fasse celle-là, que je la place dans la bouche d'un personnage chinois de ce récit, c'est mon humour laborieux, c'est ma patte ) ce que je voulais ( what you want ). Je compris de suite qu'il serait sans doute mal vu de corriger cette forme interrogative à la syntaxe mal dégauchie, et le plus poliment du monde je m'enquis du contenu de l'affichette, il parut surpris — ce qui en fait voulait dire qu'il n'avait jamais envisagé qu'un Blanc puisse offrir ses services à une cantine du quartier chinois. Littéralement en deux mots — couper légumes ( cut vegetable ) — il m'apprit ce qui serait attendu du candidat à ce poste. Je finis par me mettre au diapason de cette conversation âpre et concise et demandait combien ( how much? ), me fut répondu trois cinquante heure (three fifty hour). Trois dollars et cinquante cents de l'heure oeuvrée donc, c'était maigre bien évidemment — je savais pertinemment comment faire encore baisser ce salaire, si d'aventure j'avais demandé si ma situation illégale, au regard des lois sur l'immigration aux Etats-Unis d'Amérique, ne serait pas un obstacle à mon avancement, la réponse n'aurait pas manqué de tomber, sèche mais concise, deux cinquante heure ( two fifty hour ), je savais maintenant éviter cette erreur naïve. Enfin je demandais quand étais-je censé commencer, lundi ( monday ), quelle heure? ( what time? ) huit heures ( eight ) et puis en se retournant, le petit patron de la cantine me dit d'apporter mes couteaux ( bring knifes ), là non plus je ne jugeai pas utile de corriger mon futur employeur dans son pluriel erroné de mot knife, knives et non knifes. Il fallait donc venir avec ses propres outils, ce qui ne lassait pas de m'amuser tandis que je remontais en bus Western Avenue, vers le Nord, vers mon quartier, le front contre la vitre embuée du bus surchauffé malgré les courants d'air des arrêts fréquents, et pour cause, un arrêt à tous les blocs, jouissant de ce fait d'un peu de fraîcheur mais surtout des vibrations du diesel poussif, vibrations amplifiées du fait de la résonance du carreau, ce que je trouvais toujours curieusement agréable, ce soir-là je n'avais pas mal à la tête, comme tous les soirs d'hiver d'ailleurs, tant il semblait que le froid mordant était en fait une excellente parade contre les vapeurs délétères de l'essence de térébenthine, lesquelles étaient au contraire sources de maux de tête opiniâtres en été, je souriai donc tout à moi-même en pensant à cette plaisanterie des chantiers en France adressée aux collègues à qui il manque toujours un outil ou l'autre, surtout entre corps de métier: t'es venu avec ta bite et ton couteau, toi ce matin, je souriais en me disant que si l'anglais du petit patron de la cantine avait été un peu plus délié, il aurait pu me dire qu'il fallait venir avec sa bite et son couteau. En outre le soir-même lorsque ma future ex-femme rentra et qu'elle me surprit à aiguiser nos couteaux de cuisine, et qu'elle s'informa du pourquoi de cet entretien soudain méticuleux , je tentai de lui expliquer cette plaisanterie typique des chantiers français, elle ne comprit rien à mes explications qui n'étaient sans doute pas aussi claires qu'elles auraient pu l'être, j'en conviens, je n'étais d'ailleurs pas sur que même un excellent traducteur — fût-il rompu à trouver des équivalents à tous les jeux de langage auxquels se prêtent certains auteurs ( donnons rapidement quelques exemples de livres de langue française difficiles à traduire, pour toutes sortes de raison: la Disparition de Georges Perec, les Revenentes du même auteur pour les mêmes raisons épineuses de difficulté, ou plus exactement pour les raisons inverses de fil à retordre, un des receuils de sur l'Album de la comtesse de Joël Martin, les sonnets de Joachim du Bellay en respectant leurs rimes richissimes, les livres de Céline, étant donné la pauvreté de l'argot anglais, tout San Antonio pour les raisons déjà invoquées pour Joël Martin et Louis-Ferdinand Céline ) — je n'étais pas sûr donc qu'un excellent traducteur donc, ne soit parvenu à exprimer la chose avec davantage de clarté, restituant la saveur un peu particulière de cette expression ouvrière, toujours est-il que ma future ex-femme finit par faire ce qu'elle faisait toujours lorsque quelque chose lui échappait, elle s'énerva et notre soirée fut largement mangée par une fâcherie au terme de laquelle elle ne parvenait toujours pas à comprendre, non seulement la beauté de l'idiomatisme qui faisait ma joie, mais pas davantage non plus les raisons qui m'avaient poussé à démissionner de mon boulot de peinture alimentaire, pour un travail que je n'avais jamais fait auparavant — j'arguai que mon curriculum vitae ne me fut jamais demandé, sa rage redoubla contre mon ironie un peu hors contexte, il faut en convenir — dans des conditions salariales qui n'étaient pas avantageuses, ce en quoi elle avait raison, c'était d'ailleurs là le plus gros de son inquiétude, et j'eus beau lui expliquer qu'en ce moment il faisait vraiment froid pour passer toute la journée dehors, et que je me réjouissais donc de travailler dans la chaleur d'une cuisine, fut-ce à un salaire inférieur, elle n'en démordait pas, j'étais d'après elle en train de commettre une bourde immense. Enfin tout cela dégénéra, comme on peut s'en douter, encore que fait curieux, aucun couteau ne fut brandi, ni jeté, et ce bien que les couteaux de cuisine, et notamment celui qui était grand comme ça, étaient en fait au centre de cette explication houleuse, parce que ma future ex-femme n'entendait pas m'autoriser à emporter nos couteaux de cuisine à mon nouveau travail, et que nous en aurions par ailleurs besoin à la maison. Je ne manquai pas d'ironiser sur ce besoin pressant en lui suggérant que si elle avait dans l'idée de me jeter un de ces couteaux en travers de la figure, et que de fait ces derniers lui fassent défaut, le marteau dans l'atelier ferait parfaitement l'affaire. Le soirée tourna au vinaigre, c'est peu dire. Ma future ex-femme n'eut cependant pas tort sur tout dans ce litige, et de fait, je ne parvins à garder cet emploi que deux semaines. D'aucuns enclins à la plaisanterie seraient sûrement tentés de mettre en équation, l'utilisation de couteaux aiguisés comme des rasoirs, le nombre de doigts des deux mains d'une personne normalement constituée — et je suis de ces personnes équitablement équipées, du point de vue du nombre de doigts, s'entend — et le nombre de jours pendant lesquels je parvins à garder mon emploi, que l'on pouvait précisément compter sur les doigts des deux mains d'une personne n'ayant jamais travaillé comme coupeur de légumes dans un restaurant chinois. En cela les esprits fins ne seraient pas très éloignés de la réalité. De fait je ne cessais de me couper en coupant les légumes, non par zèle, chacun l'aura compris, mais davantage par maladresse et manque d'expérience sans doute — je me doutais bien, sans avoir à lui demander, que mon nouvel employeur serait rétif à toute demande de formation — et surtout aussi parce que j'étais soucieux de tenir les cadences qui m'étaient imposées. Débiter de l'oignon, des six façons différentes, méthode dite à la chinoise, en quartiers, en petits dés, en rondelles, en gros morceaux, en hachis, en quarts coupés en deux dans le sens de la longueur, des poivrons en bâtonnets, de la tomate n'importe comment, le cuisinier n'en avait cure qui de toute manière les écrasait, des courgettes en rondelles ou encore en deux coups de couteau dans le sens de la longueur puis en petits morceaux dans le sens de la largeur, du gingembre, en hachis ou en fines lamelles, des carottes, en bâtonnets, en rondelles, en quarts — deux coups de couteau dans le sens de la longueur — en ellipses, des navets en cinq morceaux aux formes indifférentes, des pommes de terre, en morceaux également, tout cet abattage devait être conduit avec frénésie: chaque légume débité, je poussais les morceaux vers la droite de ma planche à découper, un épais billot, déformé en tous sens par les coups maniaques du plat de la hache sur la viande, l'attendrissage, le mot décrit mal la violence contenue dans ce geste, vers la droite du billot donc, entraînant la chute des morceaux dans des seaux de matière plastique rose. Sur la gauche du billot, un commis de la cuisine déversait sans ordre de nouveaux légumes à découper — lui et moi étions parfaitement incapables d'échanger un mot puisqu'il ne parlait pas ni l'anglais ni le français, pas davantage que je ne parle le chinois, pour certains légumes donc, comme les oignons ou les carottes, il me donnait des instructions de coupe de mouvements secs de la main, définissant ainsi les plans de coupe dans le vide avec des gestes de karatéka, c'est à dire, les cinq doigts de la main unis, la main plate tendue perpendiculairement au billot, et je m'exécutais le plus rapidement possible sachant qu'il me fallait évacuer les légumes débités vers la droite, aussi vite qu'ils m'étaient apportées par la gauche, si je voulais garder un espace vide indispensable à mon travail, au centre du billot. Le commis qui m'apportait les légumes semblait éprouver un sadique plaisir à affoler la cadence, en entassant en vrac précipitamment les nouveaux arrivages de légumes, sur la gauche du billot. Parfois je parvenais à prendre de l'avance — c'était plutôt rare — ce qui me permettait de courir aux toilettes, lesquelles étaient indiciblement crasseuses. Au-dessus de l'urinoir un autocollant invitait à se laver les mains avant de reprendre le travail — en vertu de je ne sais plus quelle circulaire du Département de l'hygiène et de la santé du travail. Au début j'obtempérais toujours de bonne grâce, soucieux que j'étais de faire bonne impression auprès de mon nouvel employeur, mais l'eau glaciale refroidit — pour ainsi parler — mes bonnes intentions premières. Lorsque je revenais au billot, je faisais toujours mine de m'essuyer les mains dans mon tablier, la deuxième semaine, je ne prenais même plus cette précaution, je ne donnais plus le change, voyant bien que l'indifférence générale régnait en maîtresse dans la cantine cinoise du quartier Sud de la ville. Lorsque je revenais au billot, donc, invariablement le commis avait fait son oeuvre, le billot était plein à craquer de nouveaux légumes à débiter, et pour ce qui était des carottes et des oignons, je devais attendre que le commis revienne pour me donner les instructions de coupe, ce qu'il tardait toujours à faire. Il ne revenait en outre jamais les mains vides. Je payais donc assez cher mes pauses toilettes et c'était souvent du à l'énervement de cette situation mesquine que je finissais toujours par me couper. La première fois que je me coupais, cela pissait le sang, je ne parvenais pas à contenir ce saignement aussi je courus aux toilettes, me lavai abondamment les mains à l'eau glaciale dans le lavabo maculé de tâches crasses, et je me confectionnais un pansement de fortune avec force épaisseur de papier toilette. Je me promis de revenir le lendemain avec une boîte de pansements. Je retournai au billot où la situation, contre toute attente, n'avait pas évolué. A ma plus grande surprise encore, le commis avait passé l'éponge, au propre comme au figuré, pour retirer les quelques gouttes de sang que je n'étais pas parvenu à contenir, et il me demanda OK? Je répondis OK, — imaginez un peu ce dialogue tiré d'une pièce de théatre, le COMMIS: OK? l'AIDE-CUISINIER: OK — il repartit en cuisine et tandis que j'avais récupéré mon couteau et que je m'apprêtais à reprendre lentement dans un premier temps, le découpage des courgettes, le commis resurgit de la cuisine avec un nouvel arrivage d'oignons et un petit sourire narquois au coin des lèvres. Je repris ma tâche un peu rêveur . Je parcourais du regard les murs gris de la pièce grise et froide dans laquelle j'étais consigné au découpage des légumes, la pièce dans laquelle je travaillais n'était de fait pas une pièce à part entière, puisqu'elle était l'étroit et court couloir, qui reliait l'immeuble au rez-de-chaussée et au premier étage duquel se tenait la cantine, et l'autre immeuble dans lequel se trouvait la cuisine, ce couloir n'était évidemment pas chauffé et pire encore des courants d'airs glaciaux s'y engouffraient, chaque fois que le commis arrivait avec de nouveaux légumes, et repartait lesté des seaux que j'avais remplis de légumes débités, en cela, ma visée première de trouver un emploi où je ne travaillerai pas dans le froid était un échec complet, ce que je tus, bien sûr, à ma future ex-femme pour ne pas lui donner raison inutilement. Les murs étaient gris, de ce même gris que l'on trouve en bidon de vingt-cinq litres, que l'on soulève donc avec les pires difficultés, que l'on incline en tremblant, tellement il est mal aisé de maintenir en équilibre sur la tranche pareille charge, avec la peur de la catastrophe — laisser échapper les vingt-cinq litres de peinture grise, épaisse et non diluée — pour remplir palettes, assiettes, bols, seaux et pots, petites réserves que l'on prend avec soi en haut de l'escabeau, de l'échelle, de l'échafaud et de badigeonner des pans entiers de rambardes, d'escaliers et de planchers extérieurs. Toutes les boiseries extérieures de Chicago entier sont de ce même gris moyen, satiné quand il vient d'être peint et un mois plus tard terne et sale. Un an plus tard, toutes les rudesses du climat ont tôt fait d'écailler cette peinture bon marché et il faut à nouveau décaper, gratter, poncer et repeindre en gris. En revanche en peinture d'intérieur, pour les couloirs aveugles, halls et escaliers de service, cette peinture n'était pas si médiocre. Le couloir dans lequel je travaillais était donc gris. J'étais payé, modestement comme je l'ai indiqué, à la semaine, le vendredi soir. Le vieux monsieur un peu bossu, dans son costume élimé aux entournures, comptait ma modeste liasse de neuf billets de vingt dollars les plus miteux qu'il pût trouver dans son portefeuille, les donnait au commis et me tournait immédiatement le dos, le commis m'apportait la liasse qu'il frappait dans le plat de ma main et aussi me tournait immédiatement le dos et repartait par la même porte derrière laquelle le vieux monsieur avait déjà disparu, protégé en cela par l'écriteau PRIVATE ( PRIVE ) qui avait cela de péremptoire, que jamais je n'aurais osé pousser cette porte de mon propre chef, tant j'étais certain qu'elle devait déboucher sur quelque assemblée crapuleuse pleinière, fumerie d'opium, partouses avec de serviles prostituées thaïlandaises bon marché, séance de torture, supplice des cent morceaux — les cheveux horripilés et le sourire extatique du supplicié — ou autre décapitation au sabre — Lao Tseu l'a dit il faut trouver la voie, je vais vous aider à trouver la voie, mais pour cela je vais vous couper la tête — fertile imagination que la mienne, le vieux monsieur pouvait tout aussi bien être allé se rasseoir dans son fauteuil, campé devant un match de base ball — White Sox leading seven to three bottom of the ninth, we'll be back — les chaussettes blanches mènent sept à trois dans le fond du neuvième temps, nous serons de retour après cette page de publicité — tandis qu'on lui apportait un potage aux vermicelles qu'il sucerait bruyamment, tout édenté qu'il était. Le deuxième vendredi, je reçus pareillement mon du et lorsque les neuf billets de vingt dollars, tous plus fatigués les uns que les autres, finirent leur course dans ma paume, j'avais pris ma décision: je ne ferai pas carrière comme coupeur de légumes dans cette cantine du quartier chinois au Sud de la ville. En quittant la cantine par la porte de service, il ne m'était jamais permis de passer par la cantine, je sortais donc par la porte de service et débouchais, sur une allée sombre et mal odorante — une odeur en fait indescriptible puisqu'elle était le savant mélange des détritus de la cantine, et j'y avais contribué de quelques rognures d'oignons et de navets pourris, d'urine et d'autres déjections de tous les soulographes du quartier, qui apparemment s'étaient donnés le mot, pour ce qui était d'uriner et de rendre dans cette allée sombre, et aussi de vapeurs nocives et nauséabondes qui s'échappaient du sous-sol du bâtiment d'en face, sous-sol duquel s'exprimait une activité chimique dont je n'aurais su définir au nez la finalité. Sortant donc de l'allée pestilentielle, je décidai d'essayer de retrouver James à la sortie du travail. Je ne l'avais pas vu depuis quinze jours — les deux semaines de mon parcours révolu de coupeur de légumes — et j'entendais bien le mettre à contribution pour y voir plus clair dans l'analyse rétrospective de ma carrière éphémère de coupeur de légumes, dans une cantine du quartier chinois du Sud de la ville. J'arrivai juste à temps, James et mes anciens collègues venaient juste de débaucher, et notamment Alejandro qui m'accueillit dans un éclat de rire: I see that chinese babe was just pussy-dead ( la petite chinoise n'était donc pas une vraie siamoise ). Cette ironie me dégrisa immédiatement de toute cette colère accumulée en deux semaines, sans bruit, comme la neige tombe sur la neige. James, Alejandro et moi partîmes boire toute la nuit. Plus tard dans la soirée, tandis que nous étions fin saouls et que je décrivis mes deux semaines dans le couloir aux courant d'airs de la cantine du quartier chinois au Sud de la ville à James et Alejandro, James nous expliqua avec patience — patience vis à vis de mon ébriété et patience vis à vis d'Alejandro qui toujours coupait James pour lui demander les pires insanités sur le comportement sexuel des Chinoises , sujet qui semblait l'intriguer au plus haut point — que mon ancien employeur, le vieux monsieur aux costumes rayés et élimés, avait utilisé une tactique fameuse du livre de la guerre, connue sous le nom d'encercler le dragon (surrounding the dragon), tactique qui consistait à affaiblir progressivement le dragon pour l'anéantir tout à fait par des piques incessantes destinées à le faire souffrir de sa propre colère.
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