En juin 1999, j'ai interviewé
un grand écrivain, et lorsque j'écris grand écrivain,
je pèse mes mots: pour donner une preuve un peu indiscutable
de l'importance de cet auteur, je précise que le grand écrivain
en question est traduit dans de nombreuses langues. Les circonstances
qui m'ont amené à cette rencontre avec le grand écrivain
sont inintéressantes à éclaircir. De même
il serait sans doute incongru de nommer le grand écrivain en
question, tant cela pourrait être perçu, comme une volonté
de ma part, de faire rejaillir de la lumière de l'aura du grand
écrivain en question sur moi-même, et je risquerais par
cette vaniteuse manoeuvre de lui faire de l'ombre. La courtoisie, l'indulgence
et la clémence du grand écrivain pour la maladresse et
l'abrupteté de mes questions me le rendirent d'autant plus respectable,
je n'entends donc pas faire usage de son nom et de sa célébrité
dans le monde des lettres. Notre interview fut cependant publiée
et à l'occasion de cette publication dans une revue littéraire,
je ne manquais pas de faire parvenir quelques exemplaires de la revue
au grand écrivain. Ce dernier souhaita cependant en disposer
de deux exemplaires supplémentaires. Il m'appela donc au téléphone
et me demanda s'il ne m'était pas possible de les lui expédier
par la poste, et comme pour justifier courtoisement cette demande, qui
ne méritait pourtant pas de l'être, le grand écrivain
me précisa qu'il destinait ces revues à
deux de ses traducteurs, notamment son traducteur chinois. Je m'étonnais
que le grand écrivain, tout grand écrivain fût-il,
fût traduit en chinois tant la chose est peu fréquente.
Il me confirma modestement cette rareté, et me dit que c'était
pour lui un plaisir inhabituel de compter, parmi les rayons de sa bibliothèque,
ses propres livres traduits en chinois, d'ailleurs les seuls livres
en chinois qu'il possédât, résolument du chinois
pour lui ,
et ce bien que ces livres furent écrits par lui.
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