Source : Proche Orient chrétien, t. XL, 1990, p. 33-55.
À l’aide d’archives retrouvées chez les
jésuites, Maurice Martin retrace à grands traits l’histoire des coptes
catholiques d’Égypte, depuis leur arrivée à la fin du xixe siècle jusqu’au début du xxe siècle.
Au-delà de la chronologie, il pointe les relations entre les
différentes communautés catholique, protestante et orthodoxe, soulignant
l’importance de la scolarisation et le fossé entre les milieux rural et
urbain.
' Chronologie1879 ouverture du petit séminaire-collège du Caire ;
1884 fondation d’une préfecture apostolique du Delta, confiée aux Missions Africaines de Lyon établies dès 1877 à Zagazig (elle devient vicariat en 1909) ;
1887 ouverture de la résidence jésuite de Minya ;
1894 conférence des patriarches orientaux à Rome et parution de la constitution apostolique Orientalium Dignitas ;
1895 Georges Macaire consacré vicaire apostolique des coptes. Lettres apostoliques de Léon XIII Ad Coptos (juin et décembre) instituant 2 diocèses nouveaux ;
1896 consécration de Mgr Maximos Sedfawi, évêque d’Hermopolis-Minya, et de Mgr Ignace Berzi, évêque de Thèbes-Tahta ;
1898 synode de l’Église copte-catholique ;
1899 Mgr Macaire consacré patriarche sous le nom de Kyrillos II ; ouverture du séminaire patriarcal de Tahta ;
1900 le gouvernement égyptien reconnaît officiellement le patriarche Kyrillos II ;
1902 consécration de la cathédrale patriarcale d’Alexandrie ;
1907 fermeture du petit séminaire du Caire ;
1908 appelé à Rome, le patriarche Macaire se démet de sa fonction patriarcale et Mgr Sedfawi devient administrateur apostolique au milieu de troubles communautaires. La dignité patriarcale ne sera rétablie qu’en 1947.)
1884 fondation d’une préfecture apostolique du Delta, confiée aux Missions Africaines de Lyon établies dès 1877 à Zagazig (elle devient vicariat en 1909) ;
1887 ouverture de la résidence jésuite de Minya ;
1894 conférence des patriarches orientaux à Rome et parution de la constitution apostolique Orientalium Dignitas ;
1895 Georges Macaire consacré vicaire apostolique des coptes. Lettres apostoliques de Léon XIII Ad Coptos (juin et décembre) instituant 2 diocèses nouveaux ;
1896 consécration de Mgr Maximos Sedfawi, évêque d’Hermopolis-Minya, et de Mgr Ignace Berzi, évêque de Thèbes-Tahta ;
1898 synode de l’Église copte-catholique ;
1899 Mgr Macaire consacré patriarche sous le nom de Kyrillos II ; ouverture du séminaire patriarcal de Tahta ;
1900 le gouvernement égyptien reconnaît officiellement le patriarche Kyrillos II ;
1902 consécration de la cathédrale patriarcale d’Alexandrie ;
1907 fermeture du petit séminaire du Caire ;
1908 appelé à Rome, le patriarche Macaire se démet de sa fonction patriarcale et Mgr Sedfawi devient administrateur apostolique au milieu de troubles communautaires. La dignité patriarcale ne sera rétablie qu’en 1947.)
Après la délimitation de la
période couverte par cette étude, fixons son aire géographique. Je m’en
tiendrai au territoire des 2 diocèses de Haute-Égypte, Minya et Tahta, à
l’exclusion du diocèse patriarcal qui, à cette époque, ne comprend de
paroisses qu’au Caire2
et à Alexandrie. C’est donc exclure un milieu uniquement urbain où les
catholiques d’autres rites sont bien plus nombreux que les coptes, pour
se cantonner à la campagne et dans de petites villes de province qui
sont encore très campagnardes3.
C’est aussi exclure le Delta où les coptes sont peu nombreux, sans
paroisse ni clergé dépendant du patriarcat puisque ce sont les pères des
Missions Africaines, constituées en préfecture puis en vicariat latin
du Delta, qui s’occupent de quelques très petites communautés4.
- 5 En 1920, la mission franciscaine de Haute-Égypte dessert les paroisses urbaines du Fayoum, de Beni (...)
5Les deux
diocèses de Haute-Égypte qui théoriquement s’étendent du Caire à Assouan
sont eux-mêmes loin de couvrir réellement ce territoire en entier. En
fait, celui de Minya commence au nord aux environs de Maghagha et va
jusqu’aux approches de Mellawi au sud – tout ce qui est au nord jusqu’à
Giza dépend de la mission franciscaine de Haute-Égypte. Celui de Tahta
de même s’arrête au sud pratiquement à la hauteur de Louxor et, pour
permettre cette continuité, il a fallu que les Franciscains, en 1893,
abandonnent au vicariat copte-catholique non seulement leur église et le
« conventino » du Mouski au Caire, futur siège du patriarcat, mais
encore la plupart des paroisses qu’ils tenaient au nord de Louxor :
Cheikh Zein el-Din, Tahta (avec ses dépendances de Chanayba, Kom Gharib
et Tema), Hammas, Sohag, Akhmim, Farchout, Naqqada et Garagos, ne
gardant de postes que dans les villes d’Assiout, Girga, Qena et Louxor5. Assouan est rattaché au vicariat combonien du Soudan.
6Si je m’en tiens à
ces limites – les 40 années où la communauté copte catholique verra se
multiplier par 5 son volume dans la région de Minya et de Tahta – c’est
d’abord parce que tel est le domaine et l’époque de ce développement
rapide. C’est aussi parce qu’il existe sur la chose une abondante
documentation qui m’est accessible. Les jésuites ouvrent en 1879 le
petit séminaire copte du Caire, qui se prolonge dans leur grand
séminaire oriental de Beyrouth. Ils prennent rapidement contact avec les
villages d’où proviennent leurs séminaristes et sont ainsi appelés à
fonder, comme pied-à-terre, la résidence de Minya en 1887. De là ils
missionnent, venant en aide au clergé qui s’est formé auprès d’eux en
fondant des écoles qu’ils administrent plus ou moins directement. Les
diaires de leurs maisons, les lettres qu’ils écrivent, leurs
comptes-rendus et statistiques constituent une source irremplaçable de
documentation. Elle permet de suivre village par village la croissance
de la communauté dans la « nation copte », comme on dit souvent alors.
Sans m’y tenir exclusivement c’est dans cette source que je puiserai
abondamment.
Situation nationale
7On ne peut
évidemment traiter du développement de la communauté copte catholique à
cette époque, dont bien des acteurs – les missionnaires envoyés par
Rome – sont étrangers, sans tenir compte de l’environnement politique
d’une part, religieux-communautaire de l’autre, ce dernier d’ailleurs
étroitement imbriqué dans les circonstances nationales du temps. Qu’il
suffise ici de rappeler les données principales destinées à ressurgir au
cours de notre enquête.
- 6 Avec tous leurs professeurs les petits séminaristes coptes du Caire se réfugient à Beyrouth pour tr (...)
8La période
envisagée s’ouvre sur une crise nationale violente étouffée dans l’œuf
et s’achève à l’aurore d’une autre, de plus d’avenir celle-là. En 1879
le khédive Ismaïl est destitué, son fils Tawfiq lui succède et accepte
le contrôle de la Dette ; 1881 marque le début de l’ascension de Orabi,
ministre de la guerre en 1882, puis adviennent les événements que l’on
sait : émeutes à Alexandrie et dans le Delta en juin, bombardements
d’Alexandrie et débarquement anglais en juillet, départ massif des
étrangers6,
Tell el-Kebir en septembre 1982. À la révolution avortée de Orabi
répondra au terme de notre période la constitution du Wafd conduit par
Zaghloul (1919) et son irrésistible ascension. Bref, de 1880 à 1920
l’Égypte vit sous une domination étrangère évidemment mal supportée
(assassinat du Premier ministre chrétien Boutros Ghali en 1910,
destitution du khédive Abbas II en 1914...). De plus, l’occupation
renforce la tradition des capitulations qui, depuis des siècles, permet
aux chrétiens minoritaires de réclamer certains privilèges sous la
protection d’une puissance occidentale : en ce qui nous concerne,
l’Autriche et la France, toutes deux désireuses d’étendre leur influence
concurrente. On y reviendra.
Les coptes orthodoxes
- 7 Cf. par exemple F. Sidarouss, 1980, « Église copte et monde moderne », Proche-Orient Chrétien 30, p (...)
- 8 Voir S. Seikali, 1970, « Coptic Communal Reform 1860-1914 », Middle Eastern Studies 6/3, p. 247-75.
9On dit
communément que la « réforme » de la nation copte sous le patriarcat de
Cyrille IV (1854-1861) fut suivie d’un long temps de sommeil, en
particulier sous l’interminable pontificat de Cyrille V (1876-1927) qui
couvre notre période, jusqu’à ce qu’advienne enfin la véritable
« renaissance » avec Cyrille VI en 19577.
Mais c’est sans doute se placer ainsi du point de vue trop étroit du
personnel ecclésiastique et monastique, céder aussi au jugement critique
des missionnaires protestants comme catholiques sur le triste état d’un
clergé inculte, négligeant et cupide, attaché à la tradition aveugle et
repoussant toute rénovation. En réalité, durant le dernier quart du xixe siècle,
en milieu urbain principalement où une abondante et riche bourgeoisie
copte s’est formée avec la modernisation du pays, des activités et
institutions communautaires nouvelles voient le jour qui exerceront à
terme une profonde influence8.
Certes les notables coptes entrent alors en lutte contre leur
hiérarchie avec des fortunes diverses mais, sous leur pression, de
durables transformations sont en cours. Notons quelques étapes :
-
1881, fondation de la Société Copte de Charité qui groupe les notables désireux de réforme ;
-
1891, fondation de la Société Tawfiqiyeh, avec des branches dans les villes principales, qui ouvre des écoles en particulier, mais suscite une association rivale, la Société Copte Orthodoxe, plus favorable au patriarche et au clergé ;
-
1892, pour son opposition au Méglès Milli, Abbas II Hilmi démet le patriarche qui se retire au Wadi Natroun après avoir excommunié le vicaire patriarcal désigné pour le remplacer : troubles, appel du patriarche au soutien des Puissances, la Russie nommément, puis son retour triomphal six mois plus tard (on verra tenter un scénario analogue lors de la démission du patriarche catholique en 1908) ;
-
1893, réouverture du Collège Théologique du Caire et début d’une formation sérieuse du clergé comme du corps professoral des écoles coptes modernes qui, de 6 à cette date, passeront à 48 à la veille de la guerre de 1914 ;
-
1911, congrès copte d’Assiout : les notables soumettent au gouvernement les revendications civiles et politiques de la communauté.
- 10 Voir Le collège clérical copte-orthodoxe, présent et passé, 1893-1938 (en arabe).
- 11 J’ai cependant noté les villages « communs » suivants : Nekheila, Deir el-Ganadla, Mouti’a, Abou Qo (...)
10Soulignons pour
notre propos l’activisme des notables laïcs dans leur communauté, qui
servira de modèle à la communauté catholique, et surtout le
développement du Collège Théologique. En 1920, il aura formé une
centaine de prêtres, dont la moitié pour la Haute-Égypte, 10 maîtres
d’école et seulement 6 moines10.
La grande majorité de ses élèves provient de Haute-Égypte, mais après
cinq années dans la capitale, ils obtiennent fréquemment des paroisses
de ville, au Caire et à Alexandrie notamment mais aussi à Louxor, Girga,
Medinet el-Fayoum, Béni Souef et Mansoura. On peut aussi remarquer que,
parmi les lieux d’origine les plus fréquents de ces séminaristes
figurent peu de villages dont on verra s’occuper les catholiques, sans
doute parce qu’ils vont par priorité aux plus pauvres et délaissés11.
Avec l’afflux d’étrangers et de sujets ottomans en
Égypte sous Muhammad Ali, le catholicisme a dû s’organiser dans le pays,
en harmonie avec le régime des capitulations. Dès 1839, le Vatican crée
un vicariat apostolique pour les latins vivant en Égypte. Son titulaire
est évêque, franciscain de Terre Sainte, donc italien et, comme tel,
sous la protection de l’Autriche. Il porte en même temps le titre de
délégué apostolique pour les rites orientaux, c’est-à-dire que
les rapports des catholiques coptes, arméniens, maronites, etc. d’Égypte
avec Rome passent normalement par lui et ce dans la mouvance de
l’Autriche. En fait, un évêché arménien d’Égypte est créé dès 1849, le
maronite n’apparaîtra qu’en 1904, grecs et syriens catholiques ayant à
leur tête un vicaire général de leurs patriarches respectifs avec rang
d’évêque. En principe, depuis Orientalium dignitas, le pouvoir
autonome et direct des divers patriarcats orientaux sur leurs fidèles a
été affirmé avec force en matière de rite et de statut communautaire. En
pratique l’influence de la Rome latine qui, par la Congrégation de la
Propagation de la Foi, tient les subsides, et donc l’importance du
Délégué apostolique sur place sont considérables. On y fait appel dès
qu’une tension apparaît entre le clergé ou un notable d’une communauté
orientale et son évêque.
- 15 C’est ainsi qu’à travers les archives diplomatiques françaises comme source principale, sans avoir (...)
- 16 En fait, Orientalium dignitas, qui interdit le passage d’un rite oriental au latin, joue également (...)
16Le jeu se
complique avec l’arrivée des congrégations missionnaires étrangères,
françaises principalement, masculines accompagnées de leurs
associées-dirigées féminines, toutes de rite latin mais œuvrant en
milieu oriental, dont les ressources sont très souvent « nationales »,
et sur les œuvres desquelles se penchent avec sollicitude les
gouvernants nationaux, même anti-cléricaux chez eux mais non en pays
soumis aux influences coloniales15.
Ajoutons qu’un ordre religieux peut être exempt et intéresser
directement son supérieur général de Rome à une question concernant son
aide apostolique à la communauté copte d’Égypte. Il serait enfin
irréaliste d’exclure chez le missionnaire le plus dévoué un légitime
sentiment d’appartenance nationale et un attachement à sa culture
théologique et pastorale, ainsi qu’aux pratiques de dévotion qui l’ont
nourri religieusement, ce qui risque d’apparaître à l’oriental comme
ignorance, méconnaissance ou mésestime de sa tradition et de son droit16.
17Bref, l’histoire
semble avoir accumulé ici tous les ingrédients naturels de toutes sortes
de conflits cachés, refusés, camouflés, travestis, ouverts enfin et
même explosifs, que la discrétion, la prudence, la compréhension,
l’excuse et l’oubli ne parviendront pas toujours à étouffer ni effacer.
Séminaire du Caire (1879-1907)
18Il est éclairant
de voir comment on a conçu la formation du clergé de paroisse, puisque
c’est à lui que reviendra d’imprimer à la communauté son caractère
distinctif copte-catholique. D’où l’utilité de cette notice sur le
séminaire du Caire, en tête de chapitre.
- 17 À Beyrouth, les jésuites désirent ne plus recevoir au petit séminaire oriental des vocations coptes (...)
19C’est en fait
un petit séminaire préparatoire à l’entrée au Séminaire Oriental de
Beyrouth où se feront les études proprement ecclésiastiques de
philosophie et de théologie17.
Le français et le latin y seront indispensables et donc, durant les
cinq à sept années de son séjour au Caire, un garçon entré à 10-12 ans,
venu la plupart du temps d’un pauvre village, devra apprendre, outre
l’arabe littéraire, le français, pratiquer la traduction latine et faire
le même exercice pour le copte liturgique, dans un environnement
religieux qui ressemble assez à celui d’un noviciat jésuite de l’époque.
En principe, il ne retournera visiter sa famille qu’avant son départ
pour Beyrouth.
- 18 Il reçoit 11 séminaristes, dont 3 mariés, tous seront ordonnés.
20Certes, on se
rend assez vite compte que c’est une entreprise ardue, presque un tour
de force. Aussi, en 1895-1896 un séminaire éphémère pour vocations
tardives et moins athlétiques s’ouvre à la résidence de Minya18,
remplacé en 1899 par celui de Tahta. Cependant, durant huit années
encore le Caire fonctionnera jusqu’à épuisement de l’expérience, si l’on
peut dire.
21Pour sa formation
religieuse, le séminariste est initié à toutes les pratiques de piété
latine : congrégation de la Sainte Vierge, mois de Marie, de Saint
Joseph et du Sacré Cœur, neuvaine de Saint François-Xavier, lectures
spirituelles conséquentes, service de messes, etc. Cependant, en 1885,
lors de la parution de Orientalium dignitas, un prêtre copte
vient loger un temps au séminaire pour y assurer une messe du rite, mais
rapidement on ne trouve plus trace de sa présence – les petits
séminaristes ayant du reste reçu le privilège de communier au « pain
azyme ». Tous les dimanches, puis un dimanche par mois seulement, ils
participent à la liturgie copte au patriarcat, et de même à Noël et pour
la Semaine Sainte – le directeur du séminaire notant à peu près
régulièrement que la longueur des cérémonies épuise ces enfants, d’où
l’une ou l’autre fois tension entre séminaire et patriarcat. Enfin, ils
apprennent le chant copte, dont leurs professeurs ont noté la musique
pour accompagnement de piano, et bien sûr la langue elle-même dont les
plus doués peuvent traduire un texte en arabe, français et même latin.
- 19 Dans les derniers temps du séminaire du Caire, il y a chaque année autant d’abandons que de nouvell (...)
22Le petit
séminaire ouvrit avec une douzaine d’élèves, descendit parfois jusqu’à 6
ou 7 ou monta jusqu’à 20-22 mais en gros se maintint autour de 12. Pour
conduire un séminariste jusqu’aux Humanités, il faut au moins 5 ou
6 années, or la majorité abandonne en chemin, certains dès la première
année, par manque de dispositions ou de santé, pression des parents
désireux de récupérer un enfant bien éduqué et rentable, ou tout
simplement mal du pays. Après douze années de fonctionnement, 6 d’entre
eux seulement avaient gagné Beyrouth, dont 2 encore abandonneraient
avant l’ordination. Dans les douze années suivantes, 10 autres joignent
le grand séminaire et, en 1907 à la fermeture, 5 encore iront continuer
leur formation à Beyrouth. Ces chiffres de succès peuvent paraître
faibles – et ce fut la raison de l’abandon de l’entreprise19 –
ils manifestent cependant une singulière persévérance et des capacités
peu communes dans le petit reste élu et le clergé qui en émergera.
- 20 Le Père Jules Blin prépare une grammaire copte pour les séminaristes : il laisse derrière lui un gr (...)
23Évidemment,
c’est bien la qualité d’un clergé catholique face à la médiocrité de
l’orthodoxe, décrié même par ses fidèles, qui est visée. La latinisation
de la piété tant critiquée, en particulier par les melkites, est ce
qu’on peut appeler un « effet de modèle », et quel autre modèle au
séminaire que le missionnaire latin, qui fait cependant un sérieux
effort vers le copte20 ?
Cependant les responsables, bien conscients de la pauvreté des origines
du séminariste, ont-ils assez pesé que telle était aussi leur
destination sacerdotale, là où les langues latine, française et copte
même n’auraient plus d’autre utilité que d’avoir éprouvé et prouvé la
valeur d’une personnalité ?
24L’ouverture
simultanée d’un séminaire et d’un collège secondaire, où le petit
séminaire, bien moins nombreux, finit par s’immerger, a-t-elle conduit
la direction à aligner les exigences culturelles du séminaire sur celles
du collège en enseignement, comportement linguistique, conduite, limite
d’âge des élèves, etc. ? La question s’est réellement posée, en
témoigne l’insistance du directeur à recenser chaque année les succès
scolaires des séminaristes. Or en 1899 la Congrégation romaine de la
Propagande propose pour le séminaire des règles de conduite qui ne
peuvent cadrer avec les manières de faire en vigueur : on refuse.
Cependant l’année suivante on est d’avis au Caire de transférer le petit
séminaire à Minya, ce que refuse le provincial des jésuites. En 1900
encore, on se propose de garder les grands en vue de Beyrouth mais
d’envoyer les plus jeunes à Minya où l’on pourrait recevoir des
aspirants sans limite d’âge : pas de suite à ce projet. En 1902
la hiérarchie copte unanime demande sans condition que la direction du
séminaire de Tahta ouvert trois années auparavant et comprenant alors
25 élèves (contre 9 au Caire) soit confié aux jésuites ; le directeur du
séminaire du Caire passe à Tahta : les petits séminaristes n’y font que
de l’arabe, les grands de la théologie morale et il n’y a que 2 heures
hebdomadaires de copte, constate-t-il. Les jésuites refusent, sauf
demande de Rome, mais les démarches du patriarche en ce sens échouent
l’année suivante. La fermeture du Caire est cependant inéluctable, car
la communauté ne peut assurer le recrutement de deux séminaires à deux
vitesses. Au Liban, Beyrouth alimenté par le Caire aura formé le
patriarche, les deux évêques et 22 prêtres en 1911. En 1914, il reste
11 séminaristes coptes au Séminaire Oriental de Beyrouth qui ferme ses
portes à cause de la guerre.
Diocèse de Minya
25S’il n’existe
qu’à partir de 1896, le territoire contenu dans ses futures limites
porte déjà des traits distinctifs, et le premier un très petit nombre de
coptes catholiques, d’où très peu d’implantations antérieures fondées
ou aidées par les Franciscains. Ceux-ci, dans la rétrocession de leurs
postes au vicariat copte en 1893, garderont les plus importants au nord
de Minya : le Fayoum et Béni Souef ; d’où la seconde caractéristique du
diocèse : sa faible extension, le territoire effectivement administré
depuis Minya et desservi par le clergé séculier copte commençant
réellement à Qolousna, 40 km au nord, pour se terminer à Sakkiet Moussa,
40 km au sud. Petit diocèse donc et, de plus, faible densité
chrétienne. Donnons quelques chiffres évocateurs :
26Minya en 1887,
200 coptes catholiques sur environ 4 000 chrétiens – et les protestants
sont bien plus nombreux – Qolousna 60 coptes catholiques.
- 21 Le séminaire de Minya ne durera que deux ans, relayé par celui, mieux placé, de Tahta. Parmi ses él (...)
27Minya devient
un centre important du progrès du catholicisme dans la région avec
l’installation des jésuites et des sœurs Mariamettes du Liban en 1887,
entraînant celle d’une école de filles et de garçons par leurs soins,
suivie en 1895 de l’ouverture d’un noviciat des Sœurs et d’un séminaire
pour formation accélérée chez les Pères – tous deux avec une douzaine de
recrues21.
C’est avec la fondation de l’évêché, confié à Mgr Maximos Sedfawi, que
commence véritablement l’expansion. Son moteur : le besoin d’écoles et
d’un prêtre présent dans les villages délaissés. Quand on les leur
assure, la presque totalité des chrétiens peuvent promettre de devenir
catholiques (ainsi à Naziet Ghattas, 225 habitants tous coptes sauf une
famille musulmane, en 1897), ou du moins un groupe important de familles
peut faire cette démarche.
28Suivons donc la progression des écoles :
-
1887, Minya-filles ;
-
1888, Minya-garçons ;
-
1893, Qolousna que les Franciscains lèguent au vicariat et où un prêtre orthodoxe passe au catholicisme ;
-
1896, Tuwa et Béni Ebeid (dans ces deux cas un prêtre orthodoxe est devenu catholique). Bouche enfin où l’école et la chapelle adjointe ne dureront que 6 années (trop isolé au nord ?) ;
-
1897, Naziet Ghattas (école suspendue en 1902, pas de prêtre résident), Abou Qorqas et Mansafis, tous deux promis à un bel avenir ;
-
1899, Manhari et Abwan, ce dernier sans prêtre résident mais desservi par le tout proche Qolousna.
29Il n’y aura plus
de nouvelles fondations jusqu’en 1906, où deux écoles gratuites à Minya
s’ajoutent à l’ancienne, administrée par les Frères et devenue payante.
- 22 Rappelons l’apport au clergé du diocèse du moine et des trois prêtres venus de l’orthodoxie.
- 23 C’est sensible aux statistiques de convertis que l’on tient aux environs de 1896-1900 :
30Quelques
remarques sur cette chronologie. D’abord, répondant à l’urgence des
besoins, la hâte de la réponse mais aussi sa fragilité, car les moyens,
notamment en prêtres22,
ne sont pas à la hauteur. De plus l’étouffante pauvreté des villages ne
peut subvenir à l’entretien de ce qu’on crée, alimenté de l’extérieur
en donations, fondations et honoraires de messe pour les curés : cela
revient de plus en plus cher aux fondateurs qui ne peuvent soutenir leur
élan premier. Ajoutons que l’enthousiasme des débuts fait place aussi à
une plus saine vision des réalités23 ;
tel prêtre converti retourne à l’orthodoxie, tel village qui a suscité
des espoirs ne les remplit pas : Tahnacha en 1888 veut se faire
catholique contre son évêque mais s’arrange finalement avec lui, de même
Garris en 1898, ou Tirfa en 1902 dont on ne peut s’occuper faute de
moyens – autant de villages dont on ne parlera plus dans la suite. Tout
se passe dès lors comme si on pensait que les « néo-catholiques » (le
terme est créé) adultes sont instables et moins fiables, que c’est sur
les enfants des écoles, leur formation à la piété catholique couronnée
par le rite de la communion solennelle qu’il faut désormais compter pour
la croissance de l’Église. Telle est l’analyse qui me guidera dans
l’étude du diocèse de Tahta, plus démonstratif parce que plus dense et
objet de plus de soins.
Diocèse de Tahta
- 24 Tous ces chiffres, arrondis au millier, sont ceux du recensement de 1897.
31À la différence
de celui de Minya le diocèse de Tahta, très étendu, couvre toute la
Haute-Égypte de Mellaoui aux environs de Louxor resté centre franciscain
important ainsi que les villes de Qena, Girga et Assiout. Cependant
bien des villes restent dans l’orbite de l’évêché : Mellaoui avec
15 000 habitants, Manfalout autant, Tahta 16 000, Abou Tig 12 000, Sohag
14 000, Akhmim enfin 28 00024.
- 25 École et chapelle sont construites en 1895 par un notable qui veut devenir protégé français, un de (...)
32À vrai dire, la
plupart d’entre elles ne fournissent que de très modestes paroisses et
c’est surtout dans les villages que se produira l’expansion catholique.
Ainsi à Akhmim, capitale ancienne du catholicisme avec 1800 fidèles vers
1820, le vent est à l’émigration à cause de la ruine du tissage
artisanal : il y a bien 2 prêtres pour la paroisse et 2 écoles en 1896
mais seulement 340 catholiques, puis 288 deux ans plus tard et enfin 130
en 1907. Sohag n’a que 116 fidèles en 1896, 120 en 1898, 150 en 1907. À
Manfalout pas de paroisse mais un essai avorté d’écoles vers 1895. Abou
Tig, évêché orthodoxe important, compte 30 catholiques en 1898, une
école et un prêtre25qui
en 1901 passe dans un village voisin à la communauté plus abondante,
pour revenir en 1909 lors de la fondation d’une école de sœurs et
repartir deux ans plus tard avec sa fermeture : il y a alors
80 catholiques. Seuls Tahta et Mellaoui manifestent un développement
continu du catholicisme, la première comme siège de l’évêché et du
séminaire – tous deux dus à la munificence de l’Autriche – la seconde
comme objet des soins particuliers de la toute proche résidence jésuite
de Minya, l’une et l’autre ville possédant écoles de filles et de
garçons. À Tahta, la communauté catholique passe de 1 200 membres en
1894 à 1500 en 1900, et à Mellaoui, où le catholicisme ne s’installe
qu’en 1896 avec 500 « néo-catholiques », après des estimations trop
optimistes qui vont de 600 à 800 les années suivantes, la communauté
s’établit réellement à 550 en 1907.
- 26 Ils se trouvent tous sur la même carte au 1/100 000e de la région.
33Il faut se
tourner vers les villages pour percevoir un véritable mouvement vers le
catholicisme dans les années qui suivent la création du diocèse, grâce
au zèle de l’évêque secondé par ses anciens maîtres, les jésuites de
Minya. Pour en traiter, je me limiterai d’abord à la trentaine de
villages les plus proches de Tahta26,
les plus à portée de services continus. Je suivrai les rapports de
mission qui les concernent et les mesurerai à ce qui en subsiste au
terme, en 1920. On peut les classer en trois groupes.
- 27 Hameaux : Haradié, Kom el-Naggar, Kom Ruway. Petits villages : Hager Mechta, Nag‘ Gost, el-‘Azayza, (...)
34D’abord
9 villages où de petits groupes – moins de 100 personnes pour la moitié
d’entre eux – demandent à être catholiques, qu’aucun prêtre ne viendra
desservir et dont il ne sera plus question après 1900. Ce sont pour la
plupart de petits villages de 1 000 à 2 000 habitants, voire des hameaux
d’environ 500 personnes. Dans trois d’entre eux, il y eut un essai de
fondation d’école, sans suivi27.
- 28 Deux hameaux, mais entièrement coptes : Kom Abou Hagar et Mukhalfa. Deux anciennes fondations franc (...)
35Viennent
ensuite douze autres, à la population plus importante, où le groupe qui
demande à devenir catholique atteint au moins 200 personnes et se voit
attribuer école, église et prêtre, mais ce dernier temporairement (ces
églises ne sont plus paroisses en 1920) car la croissance de la
communauté n’a pas répondu aux espoirs qu’on fondait sur elle28.
- 29 Dans la vallée : en 1907, Kom Gharib 1000 catholiques, el-Birba 500, Cheikh Zein el-Din 400, mais c (...)
36Le dernier
groupe, 8 villages, comprend de très gros bourgs, 4 en bordure du désert
dépassent les 5 000 habitants, le reste dans la plaine allant de 2 000 à
3 000 habitants. Deux d’entre ces derniers sont d’anciens postes
franciscains où le nombre de catholiques reste stable mais dans les
6 autres ce sont plusieurs centaines d’orthodoxes, prêtres en tête comme
à Deir el-Ganadla et Zarabi, qui demandent à passer au catholicisme et,
ayant obtenu église, curé et école, y demeurent en majorité29.
37Venons-en
maintenant aux régions situées au sud et au nord de la zone de Tahta,
qui sont deux fois plus étendues et recouvrent donc les 4/5e
du diocèse. On notera d’abord une dilution de la présence catholique
puisqu’il n’y est question que de 26 villes et villages, 11 au sud et 15
au nord, en tout donc un peu moins qu’autour de Tahta.
- 30 Localités où ne se fait aucune fondation : Naghamich, Balyana, el-Achi, Armant enfin, où on dénombr (...)
38Au sud, sur ces
11 localités, 5 sont d’anciennes implantations franciscaines où le
nombre de fidèles reste stable s’il ne diminue pas, 4 ne donnent lieu à
aucune implantation nouvelle30,
enfin les 2 villes de Louxor et Girga voient une paroisse doubler le
couvent franciscain, avec respectivement 500 et 600 fidèles en 1907.
- 31 Aucune fondation pour deux hameaux de la région d’Assiout, Naziet Filiu et Kom Abou Hagar, de même (...)
39En ce qui
concerne les 15 localités au nord de la région de Tahta, la situation
est plus brillante. Sans doute 6 d’entre elles ont vu 50 à 100 fidèles
demander à passer au catholicisme sans que leur trop petit nombre ait pu
donner lieu à une fondation durable, mais 8 autres fournissent des
communautés de 200 à 500 membres qui permettent à un prêtre, à une et
même deux écoles, les filles s’ajoutant aux garçons, de s’établir et de
se maintenir31.
De quelques statistiques et pratiques
40La création des
deux évêchés de Haute-Égypte (1896) avec les cérémonies solennelles
d’intronisation de l’évêque puis des visites pastorales assidues dans
les campagnes ont accentué le passage de coptes orthodoxes,
« dissidents » comme l’on dit, au catholicisme rénové. On tient à cette
époque des statistiques précises à l’unité près, village à village et
année par année, en additionnant les promesses d’intégration, et on en
fait rapport à Rome, montrant ainsi que les espoirs placés en cette
jeune communauté et les soins dont elle est l’objet ne sont pas vains.
Le dépouillement de ces rapports entre 1896 et 1902 indique d’abord une
rapide croissance, qui se ralentit cependant au tournant du siècle puis
donne lieu à rectification à la baisse, car on avait été trop confiant
dans des promesses d’adhésion conditionnées par l’ouverture d’une école
ou l’envoi à demeure d’un curé.
- 32 Des fidèles n’ont pas tous suivi leur prêtre passé au catholicisme (Zarabi -150, Beni Mohammadiyat (...)
41Ainsi, pour
l’année 1897, on enregistre 608 « retours de dissidents » dans les
2 diocèses, en 1898 5 738, en 1899 3 745, en 1900 1 710, en 1901 770
seulement. Puis, en 1902, malgré l’apparition dans les rapports de 8
nouveaux villages avec 325 « néo-catholiques », il y a en fait une
décroissance de 1 403 fidèles, dont 1 388 pour le seul diocèse de Tahta32. En 1906 enfin, on compte 16 006 fidèles pour les deux diocèses.
- 33 En fait, le nombre de fondations est plus élevé car au moins cinq anciennes écoles franciscaines, t (...)
- 34 720 orthodoxes, 664 catholiques, 103 musulmans, 19 protestants.
42Le nombre
d’écoles, les unes propriétés de l’évêché et les autres de la mission
jésuite de Minya mais toutes visitées régulièrement par un jésuite, suit
avec un léger retard la même courbe. En 1895, on en compte 18 réparties
en 15 localités, dont 10 anciennes léguées par les Franciscains au
clergé et 8 fondées par la mission jésuite de Minya depuis 1887. Quinze
écoles nouvelles s’ajoutent entre 1896 et 1900, soit en tout 33 écoles33.
En 1907, elles sont 43, 35 de garçons et 8 de filles, réparties en
35 localités. Cependant, l’effort de fondation a dû être disproportionné
aux ressources ou même aux besoins car, en 1911, on ne compte plus que
30 écoles avec 1 506 élèves34. Et encore, la guerre de 1914 sera-t-elle une dure épreuve pour l’œuvre puisque, en 1920, il n’en subsiste que 24.
- 35 16 écoles protestantes en 13 localités, 13 orthodoxes en 12 localités, 8 localités enfin ayant des (...)
43Un inventaire
détaillé de l’ensemble en 1907, au sommet de l’effort, suggère quelques
remarques. Sur ces 35 localités où sont implantées des écoles, 21 sont
des paroisses ayant un curé résident, 6 peuvent être suivies par un
prêtre proche, 8 enfin ne voient que quelqu’un de passage – le jésuite
chargé du secteur – de temps à autre. C’est évidemment dans ces deux
derniers cas que l’école est plus fragile, avec une communauté
catholique clairsemée et isolée : la liste des écoles de 1920 en porte
témoignage, c’est là que se sont produites les fermetures. En 1907
encore, 17 de ces 35 localités, les plus importantes en général,
possèdent aussi d’autres écoles confessionnelles, protestantes,
orthodoxes et même les deux ensemble35.
On voit donc que l’effort d’implantation du catholicisme porte
désormais sur ces centres où le christianisme reste relativement dense
et la présence protestante bien affirmée, où également l’orthodoxie se
défend avec les mêmes armes que ses concurrents. À partir de cette
époque, on ne voit pratiquement plus apparaître dans les rapports de
localités nouvelles : la prospection des possibilités est achevée, à
l’expansion horizontale succède l’entretien de l’acquis.
- 36 En 1920, les Pères des Missions Africaines comptent 1175 conversions, dont 1000 dans les écoles (Le (...)
- 37 On ne pense pas le baptême orthodoxe invalide en soi, mais on soupçonne la validité de son administ (...)
44Une statistique
de 1932 permet de mesurer les résultats de cette action. Elle décompte
7 810 catholiques dans le diocèse de Minya, 22 000 dans celui de Tahta,
soit environ 30 000 fidèles, à comparer aux 16 000 de 1907. Le nombre
des catholiques aurait donc doublé alors que celui de la population
totale de l’Égypte n’a augmenté que de 50 %, passant durant ces
25 années de 11 à 16 millions. On peut donc attribuer la moitié de
l’accroissement des catholiques à l’accroissement naturel, l’autre
moitié provenant sans doute de l’action des écoles36.
S’est en effet répandue la pratique de la communion solennelle des
enfants, à laquelle participent 10 à 15 élèves par école soit au moins
500 annuellement. À Minya, on signale que la majorité d’entre les
participants à cette cérémonie est orthodoxe : 21 sur 25, 46 sur 53, 84
sur 94. Or tous ces orthodoxes sont avant la cérémonie, très populaire
dans le milieu des parents, rebaptisés sous condition37
et agrégés ainsi à la communauté catholique. Nettement, on espère d’eux
plus de persévérance que des adultes ex-dissidents devenus
néo-catholiques.
45Avec le rite
annuel de la communion solennelle on aborde le réseau des pratiques
catholiques qui ont pu impressionner, attirer, retenir des orthodoxes et
par là favoriser la croissance du catholicisme. Il y a la pratique d’un
nouveau clergé et celle d’une nouvelle piété. Nouveau clergé : il n’est
pas marié en général, participe ainsi un peu à l’aura traditionnelle du
moine (ou à celle plus récente du missionnaire étranger), il est aussi
plus libre pour un zèle pastoral qui l’absorbe et le caractérise
d’autant plus qu’il est aussi très souvent fondateur-constructeur de
l’église de la communauté à partir de laquelle il rayonne. Avec lui se
répand aussi une nouvelle piété : faite d’abord de pratique
sacramentaire fréquente, de participation à des retraites paroissiales,
d’audition des sermons des prédicateurs de passage, de piété mariale
surtout avec congrégation, mois de Marie, chapelet. Tout ceci, qui n’est
pas opposé comme l’action protestante à la vie religieuse courante de
l’orthodoxie, apparaît plutôt comme un adjuvant, ou un développement
parallèle.
46Il n’en résulte
pas moins un fractionnement de la communauté chrétienne dans un de ses
temps de faiblesse et, pour un groupe très minoritaire mais homogène,
comment ne serait-ce pas tenu pour une menace grave ?
Crise au patriarcat
47Trop tôt, la
communauté copte-catholique dut s’appliquer par priorité à l’apaisement
de ses divisions internes : au cœur des difficultés, la crise du
patriarcat et la démission de Kyrillos II en 1908.
- 38 Notons ses principaux ouvrages : 1893, L’Église copte, sa foi d’aujourd’hui comparée avec lu foi de (...)
48Né en 1866 au
village de Chanayna, envoyé à l’âge de dix ans au séminaire de Beyrouth,
ordonné en 1891 après de brillantes études, Georges Macaire est sacré
évêque vicaire apostolique des coptes-catholiques à 29 ans, en 1895.
S’il prend alors le nom de Kyrillos-Cyrille, cela manifeste bien son
ambition de restaurer pour sa petite communauté toute la grandeur passée
du siège d’Alexandrie, ce à quoi il consacrera son activité quand il
sera devenu en 1899 patriarche Kyrillos II, à la fureur de son homonyme
le patriarche orthodoxe. C’est avant tout un homme d’études et de plume à
la production rapide et abondante38.
Il paraît certain que ses capacités administratives n’ont pas été à la
hauteur de ses responsabilités et, devenu patriarche, ses rapports avec
ses deux suffragants de Tahta et Minya – ce dernier son aîné de 3 ans –
en furent très vite affectés, d’autant plus qu’il se lance dans des
entreprises somptuaires : construction du séminaire de Tahta en 1899, de
la cathédrale et du patriarcat d’Alexandrie en 1902, ceci sur de larges
fonds mis à la disposition de la communauté par l’Autriche et le
Vatican, dont l’utilisation sera vite sujette à contestations et
dénonciations.
- 39 Le Père Joseph Tukhi, héros en 1908 d’un vol rocambolesque de papiers d’affaires au patriarcat d’Al (...)
49Les difficultés
entre le patriarche et une partie de sa communauté commencent en 1903,
attisées par son ancien vicaire général dont il s’est séparé en 190239 :
on accuse d’abord ses mœurs, puis sa doctrine (iconoclaste, il a
interdit à un curé de placer des statues dans son église, à un prêtre de
célébrer une messe basse sur un autel latéral quand on pontifie au
maître-autel comme si le sacrifice était alors invalide). Mais très vite
les affaires d’argent apparaissent et prennent le pas : le patriarche
est accusé de s’être approprié les profits d’un change avantageux de
monnaie, puis un terrain waqf de la famille Bistawros (1904), enfin
d’avoir partiellement détourné 500 000 Francs remis par le Vatican pour
assurer la vie de la communauté (1905). Les dénonciations affluent à la
Congrégation romaine de la Propagande tandis que les rumeurs rendent
invivable la résidence au Caire du patriarche, qui s’établit à
Alexandrie en 1905. Appelé à Rome pour justification à la mi-mai 1908,
il remet sa démission dès la fin du mois, sans avoir pu rencontrer le
pape Pie X, sans avoir non plus officiellement subi jugement ni
condamnation. Mgr Sedfawi, évêque de Minya, est alors nommé
administrateur apostolique du patriarcat.
- 40 En octobre 1908, « Pacificus » – on saura plus tard que c’est le père Basile Moussa, vicaire généra (...)
- 41 À sa désignation comme patriarche copte-catholique, Kyrillos II a dû renoncer, devant le gouverneme (...)
50L’événement
provoque dans la communauté une incroyable fermentation qui manifeste
clairement ses divisions, notamment au niveau des familles influentes,
toutes représentées dans le Méglès Milli. Un chahut est organisé au
Caire lors de la lecture du décret de nomination de Mgr Sedfawi, en
pleine église ; un comité de défense du patriarche pour une meilleure
information de Rome se constitue d’où émanent deux journaux, et de
violents libelles pour et contre s’échangent sous des noms d’emprunt40.
Revenu de Rome en novembre, Mgr Macaire est reçu en triomphe – il se
retire à Alexandrie – tandis que des scènes de violence ont lieu au
patriarcat du Caire durant les deux messes consulaires de Noël en 1908
et 1909, cette dernière avec tentative d’incendie de l’église ; la
police intervient et fait des arrestations tandis que le consul
d’Autriche tente d’exercer son droit de protection auprès du
gouvernement égyptien, sans succès41.
Au cœur de cette tempête, Mgr Sedfawi excommunie les abonnés ou les
lecteurs des deux journaux pro-patriarche. Il est clair que la paix ne
reviendra qu’avec le départ de Mgr Macaire, qui consent à s’exiler au
Liban en 1910. Là, il rédige son dernier livre (achevé en 1912, publié
en Suisse en 1913), où il défend les droits des Églises patriarcales
d’Orient face à l’autoritarisme romain et s’intègre à la communauté
grecque-orthodoxe.
- 42 Cf. Mgr H. Cabès, Sa Béatitude Cyrille Macaire, patriarche des coptes-catholiques, 1899-1921 (en ar (...)
51Revenu à
Alexandrie en 1913, ses amis le persuadent de se rendre à Rome présenter
rétractation et soumission, ce qu’il fait très vite (mars 1913) ; mais
les dégâts dans sa communauté s’avèrent considérables42. Retiré de nouveau au Liban, il y meurt en 1921 et sera enterré solennellement au Caire.
52Il est difficile
d’étaler le faisceau des causes qui ont provoqué cette effervescence.
Les conflits à l’intérieur du clergé – il est déjà de deux sortes, celui
qui s’est formé à Beyrouth et celui qui s’est formé localement –
attisés par l’allégeance à des familles de notables sourdement opposés,
mal maîtrisés par un leader trop jeune et sûr de lui, sont certainement
des conditions favorables, mais elles ne rendent pas compte de la teneur
des arguments échangés sur l’autorité respective du patriarche et du
pape. Le nationalisme ambiant a certainement beaucoup joué, ainsi que le
souvenir de la résistance au pouvoir du patriarche copte orthodoxe,
l’un et l’autre aidant à qualifier ce qu’on estime ingérence étrangère
indue (le délégué apostolique est italien) et opérant de surcroît dans
le secret romain, humiliation insupportable de la nation copte
catholique et abus de droit à l’encontre de ses traditions propres : le
passage au catholicisme n’a pas effacé une sensibilité orientale et
nationale, sans aucun doute sous-estimée de l’étranger.
53La crise du
patriarcat paraît avoir agité surtout les communautés coptes catholiques
du Caire et d’Alexandrie, en pleine croissance elles aussi du fait de
l’émigration de la campagne vers la ville : combien de familles
bourgeoises coptes cairotes aujourd’hui encore sont bien conscientes de
leurs racines provinciales, après tout peu anciennes, à Akhmim, Sedfa,
Tahta et autres lieux. En leur faveur avait joué l’avance de
scolarisation dont jouirent les chrétiens grâce aux écoles protestantes,
catholiques, orthodoxes, et qui leur permit d’entrer en masse dans les
administrations publiques ou privées, proportionnellement bien au-delà
de leur représentation nationale.
- 43 Les Sœurs Mariamettes, fondées au Liban pour s’occuper des écoles des filles, ont pour supérieur ec (...)
54La Haute-Égypte
ne fut pas pour autant indemne de tensions, notamment entre clergé
séculier et personnel missionnaire, et en particulier autour de l’école,
le prêtre de paroisse qui s’en occupe directement supportant mal
l’intervention du jésuite qui la visite régulièrement et très souvent la
soutient financièrement. Ce conflit, d’ailleurs bien naturel, se
réglait normalement par accord entre hiérarchie locale et supérieur de
la résidence de Minya. Une fois cependant, il faillit bien atteindre le
point de rupture et intéressa les fidèles eux-mêmes, lors du retrait au
Liban des religieuses Mariamettes en 1911-1912 : mais il s’agissait
alors, plus que des écoles mêmes, du sort de 8 religieuses coptes,
agrégées à la congrégation par l’intermédiaire du noviciat de Minya, que
ni leurs familles ni les deux évêques coptes ne consentaient à voir
s’exiler au Liban43. Hors cette grosse affaire, le reste est vraiment poussière qui ne vaut pas mention.
55En s’en tenant
aux strictes données de cette étude on tentera, en guise de conclusion,
quelques remarques sur la situation de la communauté copte catholique au
terme de la période envisagée. Il semble qu’elle doive alors surmonter
un double malaise, l’un d’origine catholique, l’autre orthodoxe, pour
simplifier les choses.
- 44 Sous une forme ou une autre, ce scénario est appelé à se répéter.
56Le premier :
une dépendance de « l’étranger » mal supportée, dont on voudrait
idéalement qu’elle soit de pur service alors qu’elle demeure sinon
constitutive du moins directive. Il ne s’agit pas ici simplement de
dépendance financière – après tout, elle touche surtout les responsables
appelés à « rendre compte » – mais, plus subtile et diffuse, d’une
dépendance de type culturel dont les avatars des séminaires sont
l’illustration la plus frappante (mais non la seule : pensons aux écoles
de village). Une Église dont les prêtres se forment « chez les autres »
ne peut que se sentir mineure, d’où sa légitime ambition d’un séminaire
qu’elle dirigera elle-même : mais voici qu’elle est encore obligée de
faire appel aux autres pour la direction et l’enseignement et, pire
encore, ceux-ci refusent parce que, en gros, ils ne s’y sentiraient ni
chez eux ni même franchement désirés44.
Heureux le temps – il tardera à venir – où comme en bien d’autres
institutions nationales l’apport étranger sera uniquement d’appoint et
passager.
- 45 D’où une petite guerre épuisante entre catholiques orientaux et latins autour de la communion des f (...)
57Ce n’est pas là
simple question de personnes qui ont à s’adapter mutuellement au niveau
de la langue ou des connaissances. Bien davantage, et c’est vital, il
s’agit du lien d’une Église orientale locale à la grande catholicité, de
reconnaissance réciproque. Or à ses débuts l’apport à la catholicité de
la communauté copte est surtout en virtualité et en promesse car, de sa
grande tradition revendiquée à juste titre, survit essentiellement la
seule liturgie45.
Demeure cette autre richesse, inestimable : l’exemple d’une chrétienté
simple et pauvre qui résiste depuis des siècles à un environnement
hostile par la vertu de son profond enracinement. Son existence est
appel à la générosité ; y répondre est participer à ce qu’elle offre de
meilleur.
- 46 On a dénombré en 1937, 30 000 catholiques en Haute-Égypte, sur 695 000 coptes pour la même région. (...)
- 47 Ce n’est pas une hypothèse théorique, voir l’exemple du calendrier liturgique : en 1903, Kyrillos I (...)
58Mais c’est
justement au niveau de cet enracinement que surgit un autre malaise,
vis-à-vis de l’orthodoxie cette fois. On a pu rêver d’un attrait du
catholicisme sur la masse chrétienne d’Égypte, il ne semble avoir joué
ni longtemps ni profondément46.
De plus en plus, au contraire, la résistance de l’Église orthodoxe à
l’empiétement catholique et protestant s’est renforcée, favorisant un
renouveau dont on pouvait désespérer à la fin du xixe siècle.
Sans doute sur certains points a-t-il pu se faire sur l’incitation de
la « concurrence » étrangère (pratique sacramentaire plus fréquente,
ouverture au service social...), mais pour l’essentiel c’est dans ses
ressources les plus traditionnelles, le monachisme notamment, que
l’Église orthodoxe a puisé ses forces. Cette résistance et ce renouveau
autochtone font courir le risque aux catholiques comme aux protestants
d’être marginalisés, tenus pour organes témoins d’un passé récent mais
révolu : ils ont prospéré grâce à l’aide étrangère en un temps de
faiblesse nationale, l’orthodoxie reste elle-même, fidèle et seule
authentiquement copte. Toute différence d’avec la pratique orthodoxe est
alors suspectée, pourrait et devrait être remise en question47.
59En fin de compte
se manifeste ici le double défi que doit relever la communauté copte
catholique pour être fidèle à sa vocation originelle : sauvegarder
l’apport à l’Égypte de son intégration à un catholicisme universel
adapté au monde d’aujourd’hui, tout en restant fidèle au christianisme
de tradition égyptienne pour communiquer ses richesses au catholicisme.
Sans privilégier l’une ou l’autre de ses attaches ni jouer leur
alternance.
Notes
1
À Tahta les coptes-catholiques sont alors 1200, donc bien plus nombreux
que dans la capitale où, par ailleurs, les fidèles d’autres rites
catholiques abondent. Cette figure, nécessairement modeste, au centre
des décisions, ne va pas sans conséquences.
2
En 1920 encore, il n’y a au Caire que 4 églises : à Darb el-Genena,
Faggala, Zeitoun et au Vieux Caire ; elles desservent environ 3000
fidèles.
3 À la fin du xixe siècle Minya compte 20 000 habitants, Girga 17 000 et Sohag 14 000.
4
Les Pères des Missions Africaines de Lyon fondent des paroisses latines
à Zagazig (1877), Tama (1878-1884), Zifta (1886), Mahalla el-Kobra
(1893), enfin Choubra (1894), Zeitoun (1895) et Héliopolis (1912) où
s’établit le siège de leur vicariat apostolique du Delta, tandis qu’à
leur suite les religieuses de Notre-Dame des Apôtres ouvrent des écoles
de filles. Ce sont des paroisses de ville fréquentées de tous les
catholiques, peu nombreux d’ailleurs (lors de leur fondation 375 fidèles
à Zagazig, 400 à Tanta, 160 à Zifta et Zeitoun...) où les coptes sont
minoritaires – mais les pères rayonnent dans les bourgades voisines.
Vers 1910, ils réunissent à Zagazig sur leur terrain un « village
copte » pour une quinzaine de familles pauvres dont s’occupe le P. Jacob
Muyser.
5
En 1920, la mission franciscaine de Haute-Égypte dessert les paroisses
urbaines du Fayoum, de Beni Souef, Assiout, Qena et Louxor ainsi que les
« colonies » des sucreries de Nag Hammadi et Armant et enfin deux
postes sans résident fixe à Deir Dronka et Qosseir. Ils dirigent une
école de garçons à Assiout, Qena et Louxor et les Sœurs Franciscaines
Missionnaires d’Égypte des écoles de filles au Fayoum, à Beni Souef,
Assiout, Qena et Louxor. Les Franciscains visitent également des
villages aux environs de leurs implantations, notamment au Fayoum et
dans la région d’Assiout.
6
Avec tous leurs professeurs les petits séminaristes coptes du Caire se
réfugient à Beyrouth pour trois mois : l’événement est rapporté comme un
véritable exode biblique.
7 Cf. par exemple F. Sidarouss, 1980, « Église copte et monde moderne », Proche-Orient Chrétien 30, p. 211-265.
8 Voir S. Seikali, 1970, « Coptic Communal Reform 1860-1914 », Middle Eastern Studies 6/3, p. 247-75.
9
Un des premiers actes du nouveau vicaire apostolique copte catholique
Cyrille Macaire sera d’ériger le Méglès Milli de sa communauté (1895).
10 Voir Le collège clérical copte-orthodoxe, présent et passé, 1893-1938 (en arabe).
11
J’ai cependant noté les villages « communs » suivants : Nekheila, Deir
el-Ganadla, Mouti’a, Abou Qorqas, Qolousna. Mais Hammam à l’entrée du
Fayoum, Taha el-Ameida, Araba el-Madfouna, où se recrutent davantage de
séminaristes orthodoxes, resteront en dehors des tentatives
d’installation catholique.
12
Ainsi, en 1878, les Missions Africaines de Lyon décident de fonder à
Tanta un collège, qui ouvrira en 1884, pour empêcher que ne s’y
renouvelle ce qui s’est passé à Assiout avec le collège de la mission
presbytérienne, « boulevard du protestantisme » en Haute-Égypte.
13 En 1869, de jeunes protestants excités font scandale en détruisant à Assiout les icônes d’une église.
14
Voir sur ce sujet A. Watson, 1898, The American mission in Egypt,
Pittsburg et E.E. Elder, 1954, Vindicating a vision, Philadelphia.
15
C’est ainsi qu’à travers les archives diplomatiques françaises comme
source principale, sans avoir recours aux sources vaticanes encore
inaccessibles, ni à celles du patriarcat copte publiées depuis par Mgr
Cabès, un auteur a pu traiter de façon certes brève, mais en gros
objective, les questions relatives à l’Église copte catholique entre
l878 et 1914 : cf. J. Hajjar, 1979, Le Vatican, la France et le
catholicisme oriental, Paris.
16
En fait, Orientalium dignitas, qui interdit le passage d’un rite
oriental au latin, joue également en sens inverse. Ainsi le premier
jésuite latin à célébrer en rite copte se situe en 1936, alors que bien
avant, dès la fin du xixe siècle, ses confrères de Haute-Égypte
remarquaient que « le premier moyen d’apostolat est le rite » copte,
regrettaient de ne pouvoir y accéder (une demande en ce sens n’eut pas
de suite), et devaient lors de leurs pérégrinations dans les villages se
faire accompagner d’un prêtre copte qui célébrait la messe tandis
qu’ils prêchaient et enseignaient : une division du travail frustrante
des deux côtés.
17 À Beyrouth, les jésuites désirent ne plus recevoir au petit séminaire oriental des vocations coptes mal préparées et fragiles.
18 Il reçoit 11 séminaristes, dont 3 mariés, tous seront ordonnés.
19
Dans les derniers temps du séminaire du Caire, il y a chaque année
autant d’abandons que de nouvelles recrues. Le séminaire de Tahta
fonctionnant alors normalement, il est à présumer que le recrutement du
Caire est moins soigné.
20
Le Père Jules Blin prépare une grammaire copte pour les séminaristes :
il laisse derrière lui un gros manuscrit, « La langue des pharaons
parlée de nos jours », qui, retravaillé par le P. Autefage, aboutira
finalement à la Grammaire Copte du P. A. Mallon, Beyrouth, 1904.
21
Le séminaire de Minya ne durera que deux ans, relayé par celui, mieux
placé, de Tahta. Parmi ses élèves, un moine prêtre, de Deir Suriani, 3
candidats mariés et 3 autres de conversion récente.
22 Rappelons l’apport au clergé du diocèse du moine et des trois prêtres venus de l’orthodoxie.
23 C’est sensible aux statistiques de convertis que l’on tient aux environs de 1896-1900 :
Abou Qorqas, en 1898 : 350 convertis ; 250 de plus en 1899 ; 500 fidèles en 1907.
Mansafis, en 1896 : 200 convertis ; 100 de plus en 1898 ; 250 fidèles en 1910.
Manhari, en 1898 : 15 convertis ; 100 de plus en 1899 ; 80 fidèles en 1907.
Beni Obeid, en 1896 : 100 convertis ; 150 de plus en 1898 ; 200 fidèles en 1907.
24 Tous ces chiffres, arrondis au millier, sont ceux du recensement de 1897.
25
École et chapelle sont construites en 1895 par un notable qui veut
devenir protégé français, un de ses frères étant devenu au compte des
protestants protégé américain de la même façon, et le troisième restant
chef de la communauté orthodoxe.
26 Ils se trouvent tous sur la même carte au 1/100 000e de la région.
27 Hameaux : Haradié, Kom el-Naggar, Kom Ruway. Petits villages : Hager Mechta, Nag‘ Gost, el-‘Azayza, el-Rayana. Par
contre, el-Duweir et Edfa dépassent 5000 habitants : à Edfa, le prêtre
orthodoxe veut passer au catholicisme, mais son évêque le fait gommos et
on en reste là.
28
Deux hameaux, mais entièrement coptes : Kom Abou Hagar et Mukhalfa.
Deux anciennes fondations franciscaines : Chanayna, patrie du patriarche
Macaire, et Tema, cette dernière en voie d’extinction (80 catholiques
en 1895, 50 en 1898 pour 10 000 habitants). Sept gros bourgs entre 2000
et 4000 hab. : Béni Fez, Naziet el-Qadi, Kom Esfaht, Hadika, Sahel
Tahta, Om Dôma, Seffeiha, Nekheika enfin, où 8000 coptes sur 12 000
habitants sont disputés entre divers groupes protestants. À Kom Esfaht
et Hadika, on passe respectivement de 300 et 600 fidèles, espérés à 100
réels.
29
Dans la vallée : en 1907, Kom Gharib 1000 catholiques, el-Birba 500,
Cheikh Zein el-Din 400, mais ce village se dépeuple faute de travail et,
en 1913, ils ne sont plus que 175, Banawit enfin, 210 néo-catholiques
en 1898. En bordure du désert : Zarabi en 1907, 1000 catholiques
(chiffre excessif puisque 800 seulement en 1913), Deir el-Ganadla 445,
el-Ghanayem 300 et Geheina 200 (mais une centaine seulement en 1913). On
voit que là aussi, il put y avoir des espoirs excessifs.
30
Localités où ne se fait aucune fondation : Naghamich, Balyana, el-Achi,
Armant enfin, où on dénombrait environ 500 catholiques en 1903. Anciens
postes franciscains avec église et école (je donne le nombre de fidèles
en 1896 puis vers 1903-1907) : Hammas 290 et 250, Farchout 98 et 60,
Naqqada 290 et 250, Garagos-Hagaza 311 à Garagos seul puis 319 avec
Hagaza, Qamoula enfin 140 puis, faute de prêtre, bien des catholiques
retournent à l’orthodoxie, dit le chroniqueur. Il n’y a pas de prêtre à
Garagos, desservi soit de Louxor soit de Naqqada.
31
Aucune fondation pour deux hameaux de la région d’Assiout, Naziet Filiu
et Kom Abou Hagar, de même que pour les gros bourgs de Mouri’a, Kudiet
el-Nassara et Om el-Qoussour (ces derniers villages sont dans la région
de Deirout). Fondations durables dans la région d’Assiout : Deir Drunka,
Mincha el-Kobra et surtout Bouweit/Deir Tassa et Béni Mohamadiyat
(desservi par un prêtre passé au catholicisme avec ses ouailles). Seul
ce dernier village a une paroisse de moins de 100 fidèles, aussi la
présence du prêtre y est-elle plus fragile, mais Mallawi est tout
proche.
32
Des fidèles n’ont pas tous suivi leur prêtre passé au catholicisme
(Zarabi -150, Beni Mohammadiyat -434), un prêtre est retourné à
l’orthodoxie (Bahgour -130), des villages disparaissent des listes
(Abadiet Gabali, Haradié, Manfalout même) ou tout simplement on a été
trop optimiste (el-Ghanayem -135, Qoussia -100, et même Mellawi -200).
33
En fait, le nombre de fondations est plus élevé car au moins cinq
anciennes écoles franciscaines, trop éloignées de Tahta, ont été
suspendues.
34 720 orthodoxes, 664 catholiques, 103 musulmans, 19 protestants.
35
16 écoles protestantes en 13 localités, 13 orthodoxes en 12 localités, 8
localités enfin ayant des écoles des trois confessions.
36
En 1920, les Pères des Missions Africaines comptent 1175 conversions,
dont 1000 dans les écoles (Les Missions Africaines de Lyon en Égypte,
Vicariat du Delta du Nil, Lyon 1921).
37
On ne pense pas le baptême orthodoxe invalide en soi, mais on soupçonne
la validité de son administration en masse, par exemple lors des
pèlerinages à Deir el-Adra de Samallout ou à Deir el-Muharraq. Ce n’est
pas la foi orthodoxe qui est mise en cause, mais la négligence du
clergé : or, pour les braves gens, la différence n’est pas grande.
38
Notons ses principaux ouvrages : 1893, L’Église copte, sa foi
d’aujourd’hui comparée avec lu foi de ses Pères, Le Caire ; 1894,
Histoire de l’Église d’Alexandrie depuis saint Marc jusqu’à nos jours,
Le Caire ; réédition entre 1898 et 1902 de tous les livres de liturgie
copte ; 1903, Constitution de Sa Béatitude Mgr Kyrillos II sur la
réforme du calendrier alexandrin, Le Caire ; 1907, Reconstitution de la
synthèse scientifique d’Origène, 2 vol. (le 3e est resté manuscrit),
Alexandrie ; 1913, La Constitution divine de l’Église, Rome et l’Orient,
Genève, ce dernier livre écrit à Beyrouth alors que l’auteur s’était
temporairement agrégé à la communauté grecque orthodoxe. À ces livres il
faut ajouter un certain nombre de conférences publiées sous forme
d’articles dans le Bulletin de l’Institut d’Égypte, celui de la Société
khédiviale de Géographie ou la Revue de l’Orient chrétien. Plus des
poésies inédites et même une pièce de théâtre, St Eugène de Carthage,
jouée en sa présence par les petits séminaristes du Caire à la Noël
1901.
39
Le Père Joseph Tukhi, héros en 1908 d’un vol rocambolesque de papiers
d’affaires au patriarcat d’Alexandrie alors que Kyrillos II préside la
Semaine Sainte au Caire, arrêté à son retour par la police en gare du
Caire sur demande du patriarche : l’histoire précède d’un mois la
démission de ce dernier à Rome.
40
En octobre 1908, « Pacificus » – on saura plus tard que c’est le père
Basile Moussa, vicaire général de Mgr Sedfawi – ramasse tous les griefs,
vrais ou supposés, contre le patriarche. Lui répond en mai 1909
l’ex-patriarche lui-même par « Enfin nous parlons », puis en février
1910 « Rome et Alexandrie » d’un certain Théophile Matta, dont on dit
que toute la science en histoire ecclésiastique sur les erreurs
administratives des papes de Rome provient de l’ex-patriarche lui-même,
réfuté à son tour par Basile Moussa dans un pamphlet intitulé
« Défendons notre foi » (Le Caire, juillet 1910). Tout ceci sans compter
les mandements de l’évêque de Tahta et les innombrables articles de
journaux susmentionnés et d’autres qui entrent à leur tour dans la
dispute.
41
À sa désignation comme patriarche copte-catholique, Kyrillos II a dû
renoncer, devant le gouvernement égyptien qui le lui demande, à la
protection de l’Autriche, pour obtenir en partie l’équivalence des
honneurs et privilèges accordés au patriarche copte-orthodoxe (1900).
42
Cf. Mgr H. Cabès, Sa Béatitude Cyrille Macaire, patriarche des
coptes-catholiques, 1899-1921 (en arabe), qui publie les pièces du
dossier.
43
Les Sœurs Mariamettes, fondées au Liban pour s’occuper des écoles des
filles, ont pour supérieur ecclésiastique le supérieur de la mission
jésuite de Syrie. Appelées à Minya en 1887, elles y ont ouvert un
noviciat et recruté des religieuses coptes qui les aident à tenir leurs
écoles de Minya, Mellawi et Tahta. Rappelées au Liban en 1911, les deux
évêques s’opposent à leur remplacement par des religieuses de
Saint-Joseph de Lyon et surtout au départ des 8 Mariamettes coptes.
Elles partent cependant. La hiérarchie fait appel à Rome qui blâme les
jésuites en cette affaire, envenimée de surcroît par une tentative
d’empoisonnement à la résidence de Minya, et approuve le retour en
Égypte des 8 religieuses : elles reprennent l’école de Tahta et y
forment l’embryon de la congrégation actuelle des Sœurs Égyptiennes du
Sacré-Cœur.
44 Sous une forme ou une autre, ce scénario est appelé à se répéter.
45
D’où une petite guerre épuisante entre catholiques orientaux et latins
autour de la communion des fidèles à la messe latine. Sauf exception,
Orientalium dignitas s’y oppose. Que doivent faire les élèves orientaux
des écoles catholiques étrangères ? Il faudra attendre 1912 pour que
Rome autorise la communion dans un autre rite que le sien.
46
On a dénombré en 1937, 30 000 catholiques en Haute-Égypte, sur 695 000
coptes pour la même région. Dans le reste de l’Égypte (Le Caire,
Alexandrie et Delta), on comptait encore alors 250 000 coptes soit, si
l’on tient la même proportion catholique/orthodoxe qu’en Haute-Égypte,
quelque 12 000 catholiques de plus. Donc, au total pour toute l’Égypte,
moins de 45 000. Or, depuis 1937, la population de l’Égypte a triplé et
les coptes catholiques sont estimés aujourd’hui à un peu moins de
150 000 : un accroissement démographique sans apport externe à la
communauté.
47
Ce n’est pas une hypothèse théorique, voir l’exemple du calendrier
liturgique : en 1903, Kyrillos II détache sa communauté du calendrier
julien pour adopter le grégorien et ainsi décale les fêtes catholiques
de celles des coptes orthodoxes – puis, dans les années 1960, ce
décalage devient insupportable et les coptes catholiques alignent à
nouveau Noël et Pâques sur les dates orthodoxes.
© CEDEJ - Égypte/Soudan, 2018
Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540
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