Wednesday 1 January 2014

"La bâtarde d’Istanbul" / Elif Shafak

Attention, ce livre est un grand coup de cœur ! Bien écrit, intelligent, dépaysant, il est difficile de trouver des défauts à «La bâtarde d’Istanbul» d’Elif Shafak.

«La bâtarde d’Istanbul» est mon second livre de l’écrivaine turque Elif Shafak, après «Lait noir» qui abordait la dépression post-partum. Je désirais le lire depuis longtemps déjà, à cause de son odeur de souffre. Effectivement, il se trouve que l’auteure a dû subir un procès pour «humiliation de l’identité turque» à cause de ce livre, précisément. Heureusement pour elle, ces poursuites judiciaires ont abouti sur un non-lieu.
L’histoire:
Comment le destin d’Asya, une ado rebelle, nihiliste et turque, et celui d’Armanoush, une ado tranquille d’origine arménienne vivant entre San Francisco et Tucson peuvent-ils  être liés ? Par le passé: un passé inexistant comme celui cultivé par les Turques et un passé omniprésent et étouffant entretenu par la diaspora arménienne. Ce passé, Armanoush va le faire revivre en débarquant secrètement à Istanbul dans la famille matriarcale et colorée de son beau-père turc, Mustapha.
La critique:
Attention, la critique risque d’être dithyrambique car ce roman est très bon.  On avait déjà pu constater la qualité de l’écriture d’Elif Shafak en lisant «Lait noir». Mais «La bâtarde d’Istanbul» est un niveau au-dessus.
L’auteur nous offre ici un voyage dans l’histoire turque et arménienne à travers le voyage physique d’Armanoush vers Istanbul, à la découverte des origines de sa grand-mère et des siennes.
Sous couvert de personnages drôles, truculents et émouvants, Elif Shafak nous parle ici d’un sujet grave, particulièrement en Turquie: le génocide arménien.
Pour rappel, la Turquie ne reconnait pas le génocide arménien perpétré de 1915 à 1916. Le simple fait d’en parler en Turquie peut vous valoir un procès, ce qui est arrivé à l’auteure.
Mais le livre d’Elif Shafak n’a rien d’un roman historique. C’est un ouvrage qui aborde le passé et la façon dont il influence ce que nous sommes aujourd’hui. L’auteur montre comment un pays, la Turquie, s’est coupé de son passé. Pour l’état turc, ce qui est arrivé sous l’empire ottoman ne doit pas être évoqué, seule compte la république turque actuelle. Parallèlement, on comprend également à quel point la diaspora arménienne est totalement accaparée par son passé et ne construit son identité qu’à travers le souvenir du génocide et la haine des Turcs.
Mais, l’histoire de ces deux jeunes filles, dont les familles sont engluées dans les secrets, nous démontre que malgré toutes les tentatives de se nier les uns, les autres, Turcs et Arméniens sont liés, mélangés à l’image d’Istanbul, ville métisse par excellence.
L’écriture d’Elif Shafak est fidèle à elle-même: souvent piquante et ironique, mêlant spiritualité du Moyen-Orient et réflexions féministes. Le tout étant allié à une leçon d’histoire et un secret de famille, dont on brûle de connaître la teneur. En plus, ce roman donne terriblement faim avec ces plats arméniens et turcs qui hantent quasiment toutes les pages.
En résumé, un livre quasiment parfait. Une histoire émouvante, mâtinée d’une touche de suspense, écrite par une auteure extrêmement brillante. Probablement, l’une des meilleures lectures de cette année. 
La bâtarde d’Istanbul (titre original: The bastard of Istanbul), Elif Shafak, Éd. Phébus, 2007, 319 pages. Aussi disponible en poche chez 10/18.

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