Le Moyen-Orient continue de payer le prix de la guerre livrée aux
peuples arabes, à partir de novembre 1918, par la Grande-Bretagne, puis
par la France.
Zaghloul à la tête, en novembre 1918, des nationalistes égyptiens
La Première guerre mondiale a pris fin au Moyen-Orient le 30 octobre
1918, par un armistice conclu entre la Grande-Bretagne et la France,
d’une part, et l’Empire ottoman, vaincu, d’autre part. Une nouvelle
guerre, larvée mais implacable, débute pourtant dans la région dès
novembre 1918. Elle oppose cette fois les deux puissances victorieuses
aux forces arabes qui s’étaient alliées à elles contre les Ottomans et
qui, au lieu d’en être récompensées, seront traitées en ennemies. Cette
séquence funeste, dont personne ne célèbrera le centenaire, est une des
sources majeures de l’instabilité actuelle au Moyen-Orient. Car, comme
l’a souligné au « Monde » Eugene Rogan, professeur à Oxford, « le Moyen-Orient est la région la plus durablement touchée par la guerre de 1914-18″.
LA MOBILISATION EGYPTIENNE DE NOVEMBRE 1918
Le 13 novembre 1918, une délégation de nationalistes égyptiens, menée
par l’ancien ministre Saad Zaghloul, est reçue par le Haut-Commissaire
britannique au Caire. La Grande-Bretagne, qui occupe militairement le
pays depuis 1882, y a imposé son protectorat en 1914. C’est le
Haut-Commissaire en Egypte qui a négocié en 1915 avec le gouverneur
arabe de La Mecque, le chérif Hussein, l’entrée en guerre de ses
partisans aux côtés des Alliés, en contrepartie de l’établissement d’un
« Royaume arabe » sur les territoires libérés. Cette « Révolte
arabe », lancée en 1916, a joué un rôle déterminant dans le reflux
progressif des troupes ottomanes, souvent encadrées par des officiers
allemands. Alors que l’armée britannique piétinait aux portes de Gaza,
verrou de la Palestine, au printemps 1917, les insurgés arabes
s’emparaient du port d’Aqaba et entamaient leur progression vers Amman.
Les deux contingents venus de Palestine et de Transjordanie font
jonction à l’automne 1918. Faysal, le fils du chérif Hussein, est
acclamé à la tête de 1500 cavaliers arabes, lors de son entrée à Damas,
le 3 octobre 1918.
Deux semaines après l’armistice signé avec les Ottomans et deux jours
après celui signé avec l’Allemagne, Zaghloul demande au
Haut-Commissaire Wingate que l’Egypte ait sa propre délégation à la
conférence de paix prévue à Paris. Le protectorat britannique ayant été
imposé à l’ouverture du premier conflit mondial, Zaghloul revendique la
restauration de l’indépendance égyptienne, ainsi que la levée de la loi
martiale et l’abolition de la censure, toutes deux liées à l’état de
guerre. Wingate balaie ces exigences en mettant en cause la légitimité
même de Zaghloul et de ses camarades. Le dialogue est rompu, mais les
nationalistes rédigent un mandat pour la future délégation égyptienne à
Paris, mandat validé par une vaste campagne de pétitions. L’arrestation
de Zaghloul et sa déportation à Malte entraînent, en mars 1919, une
vague de protestations anti-britanniques, dont de nombreuses
caractéristiques se retrouveront dans le soulèvement anti-Moubarak de
janvier-février 2011: choix stratégique de la non-violence face à un
pouvoir supérieurement armé; mobilisation associant Musulmans et
Chrétiens au nom d’un patriotisme partagé; occupation symbolique et
populaire des espaces publics. Huit cents Egyptiens périssent dans la
répression de ces manifestations pourtant pacifiques.
LES MANDATS BRITANNIQUES ET FRANCAIS AU LEVANT
Londres impose son administration militaire et la loi martiale qui en
découle sur le Moyen-Orient post-ottoman. Ce régime d’exception lui
permet de différer l’accomplissement des promesses contradictoires
émises par la Grande-Bretagne au cours de la Première guerre mondiale :
engagement auprès du chérif Hussein en faveur d’un « Royaume arabe »
en 1915 ; accords de 1916 dits « Sykes-Picot » (du nom de leurs
négociateurs britannique et français), attribuant à la France le
littoral syrien et libanais, ainsi que le sud-est de la Turquie, tandis
que la Palestine serait internationalisée ; « déclaration Balfour » de
1917 sur le soutien britannique à « un foyer national pour le peuple juif »
en Palestine. Mais le Royaume-Uni se sait incapable de contrôler la
Syrie sans le concours de Faysal et de ses partisans armés. D’où une
situation de double pouvoir où les nationalistes arabes réunissent à
Damas, en juin 1919, une Assemblée de 84 élus. Ils opposent ainsi la
légitimité du suffrage universel, direct ou indirect, à l’arbitraire du
Royaume-Uni, déjà défié par la campagne pétitionnaire en Egypte.
En mars 1920, l’Assemblée de Damas proclame Faysal souverain
constitutionnel d’une Syrie garantissant l’égalité des citoyens et les
droits des minorités. Au même moment, le Sénat américain vote contre
l’entrée des Etats-Unis dans la Société des nations (SDN), dont le
président Wilson avait pourtant été l’inspirateur. La Grande-Bretagne et
la France sont ainsi libérées de l’hypothèque que ferait peser sur leur
hégémonie moyen-orientale l’insistance de Wilson sur le droit à
l’autodétermination des peuples. En avril 1920, les deux puissances
impériales reçoivent de la SDN, au cours de la conférence de San Remo,
des mandats sur la Syrie et le Liban (pour la France), sur la Palestine
et l’Irak (pour la Grande-Bretagne). Ces mandats ne peuvent être imposés
que par la force militaire, avec des dizaines de milliers de victimes
en Syrie et en Irak. Ce n’est pourtant que le début d’un long cycle de
violence coloniale, marqué par la répression sanglante des soulèvements arabes de Syrie, en 1925-26, et de Palestine, en 1936-39.
Si novembre 1918 signifie bel et bien la fin de la guerre en Europe,
il représente aussi le commencement d’un conflit d’un type nouveau,
déclenché par la Grande-Bretagne, puis par la France contre les
nationalistes arabes. Il n’est pas inutile de le rappeler en ce mois de
centenaire et à l’heure où les séquelles d’un tel conflit pèsent
toujours sur le devenir du Moyen-Orient.
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